Malades mentales : une sexualité ignorée et sans contraception

Au Burkina Faso, la sexualité des déficients mentaux est un sujet gênant, presque tabou. La réalité est pourtant là, avec sa face hideuse. Dans les rues, des malades mentales, communément appelées ‘’folles’’, errent avec des bébés sous les bras. Des parents voient leurs enfants malades revenir à la maison avec des grossesses. La problématique de la contraception pour cette catégorie de citoyen se pose. Problème : ces  malades sont rarement prises en  compte dans les politiques publiques de santé.

Démarche nonchalante, physique imposant, le sourire permanent, Néné, 17 ans parle difficilement. Physiquement la jeune fille va bien. Mais le verbe difficile, l’incohérence de son discours, ses faits et gestes rappellent qu’elle ne jouit pas de toutes ses facultés mentales. Une maladie qui fait d’elle, une proie sexuelle pour certains hommes qui abusent d’elle, à la moindre inattention de ses parents. Son témoignage d’une scène d’abus est glaçant.

 « Maman, il a couché avec moi du matin jusqu’au soir. Il y a du sang qui est sorti et j’avais très mal. Je ne pouvais plus reporter mon slip. Et quand il a fini, il m’a donné  100F FCFA », raconte naïvement Néné à Fatma, une sexagénaire qu’elle considère comme sa confidente.

Dès l’apparition des premières menstrues de Néné, sa mère – Djénéba (un nom d’emprunt) commence à s’inquiéter. «  C’est à 15 ans qu’elle a commencé à voir ses premières menstrues. Elle n’avait pas de seins et avait l’air d’une enfant. Mais j’étais inquiète vu son étant de santé », rappelle la maman. Dès lors, elle tente de suivre tous les mouvements de sa fille. Néné ne sortait plus seule de la maison. Quand Néné perd son père quelques mois après, sa mère est obligée d’initier une activité rémunératrice de revenus : la vente de beignets. En ce moment, la vigilance diminue et survint l’irréparable. Néné rentre un soir, le pagne tacheté de sang.

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Elle venait d’avoir ses premières relations sexuelles. Avec qui ? Les insistances de sa mère brisent la glace. « Maman ils étaient nombreux. Chacun est passé sur moi dans une maisonnette », répond la jeune fille à sa mère. «  Toute ma prière était qu’elle ne tombe pas enceinte» confesse  la maman qui décide alors de faire adopter une méthode contraceptive à son enfant. Après les conseils d’un agent de santé, elle opte pour l’implant.

Même si Néné se plaint de l’inconfort de l’implant, sa maman estime que c’est le moindre mal. « Sans cela, ce sont des enfants dont on ignore l’identité des pères qu’on allait élever chaque année », note Djénéba.

Le viol collectif subit par Néné n’a pas débouché sur une grossesse. Ce ne fut pas le cas pour Limata, une autre déficiente mentale. A Kouentou, commune rurale de Bobo Dioulasso, la jeune trentenaire flânait entre les marchés et les gares routières de la bourgade. Muette en plus de son handicap mental, la jeune trentenaire débouchera dans sa famille avec une grossesse. Malgré son état, difficile de la garder sur place.  «  Nous avons tenté de la ramener à la maison, mais elle était toujours en fuite » témoigne une de ses tantes. A l’approche de l’accouchement, elle a été confiée aux services de l’action sociale. Limata donnera naissance à une fille qu’elle ne verra jamais. Instinct maternelle oblige, elle squatte tous les jours la maternité dans le secret espoir de revoir sa fille. « Mais étant malade, sa famille  a préféré confier le nouveau-né à l’action sociale. Étant donné que l’on ignorait le père de l’enfant…», explique Mariam Balima, sage-femme d’Etat. Pour éviter d’autres grossesses, les agents de santé lui ont placé une Jadelle, méthode contraceptive de longue durée. Des Limata, il en existe à la pelle dans les villes et campagnes du Burkina Faso.

Une santé sexuelle malade et oubliée

Le mal est là, silencieux, mais la mobilisation des remèdes est bien lente quand elle n’est pas inexistante. Le ministère de la Santé travaille en collaboration avec les associations de personnes vivant avec un handicap. Certes, elles sont impliquées dans les politiques de santé sexuelle et reproductive notamment la gestion des menstrues et la planification familiales, affirme Dr Euphrasy Barry/Adjami, secrétaire technique de l’accélération de la transition démographique au ministère de la santé. Mais elle s’empresse d’ajouter que la prise en charge de la santé sexuelle des personnes vivant avec un handicap mental est compliquée.   « Ce n’est pas souvent facile avec elles (…) notamment celles qui n’ont pas pleinement conscience de leurs faits et gestes. C’est ce qui rend souvent complexe leur  prise en charge dans les politiques de santé publique surtout s’il faut un suivi», renchéri Dr Barry/Adjami.

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                Dr Euphrasy Adjami/Barry

Elle ajoute que par an, ce sont près d’une centaine de personnes malades mentales en qui sont enregistrées dans les services de santé publique pour la prise en charge de leur santé sexuelle et reproductive : Soit pour la planification familiale, soit pour la gestion des menstrues. «  Il y a des familles qui souhaitent l’arrêt définitive des menstrues de la malade, tant la gestion est pénible », témoigne Dr Barry.

A chaque période des menstrues, c’est un calvaire pour Alida, une adolescente de 17 ans et sa mère. «  Nous sommes obligées de l’immobiliser à la maison à chaque période de ses menstrues », raconte la mère d’Alida. Pour soulager sa fille et lui éviter des grossesses non désirées, l’idée d’arrêter les menstrues par une méthode quelconque a taraudé l’esprit de la maman.  Impossible, lui rétorque les agents de santé.

Pas de différences dans les méthodes de contraception

Les personnes souffrant d’un trouble mental ne peuvent pas décider d’elles-mêmes. Elles sont placées sous l’autorité d’un parent ou d’un.e tuteur.rice et leur prise en charge médicale se fait conformément aux législations en vigueur, explique la sage-femme Mariam Maré, directrice de Marie Stopes International, une organisation non gouvernementale intervenant dans la planification familiale. Elle confie que le centre enregistre des patientes souffrant de déficience mentale. «  Chaque fois qu’on reçoit des cas, nous discutons d’abord avec le parent ou le tuteur avant toute initiative de méthode de planification familiale. Mais avant, c’est la malade qui est d’abord reçue en consultation, après un entretien. Si l’on constate qu’elle ne jouit absolument pas de toutes ces facultés, nous faisons appel au tuteur ou au parent avec qui nous discutons de la méthode à adopter », explique la sage-femme qui ajoute qu’il n’y a pas de différence dans le choix des méthodes.

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Dr Mariam Maré, directrice de Marie Stoppe Internationale

En chœur, les agents de santé confrontés à des situations qu’ils jugent « tristes » avec des malades mentales enceintes, soutiennent que ces personnes doivent avoir les mêmes droits en matière de  santé sexuelle que les autres. Ils ont également droit au choix de la méthode à adopter pour éviter des grossesses non désirés. «  Quand une personne n’est pas à même de donner son consentement pour une décision, on laisse le libre choix aux parents ou au tuteur. Dès qu’on commence à placer la méthode, si on constate un refus de la malade, nous arrêtons », rassure Mariam Maré.

Au Burkina Faso, l’enquête nationale sur les troubles mentaux réalisée en 2015 montre que 41 %  de la population générale âgée de 18 ans et plus a souffert d’au moins un trouble mental. Cela traduit l’importance de ces troubles dans notre pays.

Bassératou KINDO

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