
« Handicapée moteur et enceinte, nous sommes maltraitées dans les hôpitaux et maternités », Sanata Djiguemdé

Des lits de consultations et d’accouchement non adaptés, le manque de rampes pour femmes handicapées, des couloirs restreints qui ne facilitent pas le passage des fauteuils, des toilettes et des tests de prise de poids non adaptés… Les infrastructures dans certains hôpitaux du Burkina ne sont pas souvent accommodées aux situations des femmes enceintes handicapées motrices. Elles dénoncent également avec amertume le mauvais traitement qu’elles subissent dans certains centres médicaux lors de leurs visites prénatales et de leurs accouchements..
La maternité est devenue un autre combat pour des femmes enceintes en situation de handicap moteur. Elles aspirent à des soins respectueux en témoignant subir des mauvais traitements dans certains hôpitaux lors de leurs visites prénatales et de leurs accouchements. Entre autres s’inclut crucialement l’absence des services adaptés à leur handicap.

Wahabou Sanou Tassere, maïeuticien attaché de soin gynécologique et obstétrique en service à Fada, confirme le manque d’équipements adaptés aux personnes en situation de handicap dans certains districts du pays. Cependant, il témoigne que souvent des agents adaptent leurs soins aux types de handicap des patientes. « Chez nous, nous nous accroupissons si nécessaire pour examiner les patientes en situation de handicap moteur. Nous faisons même des accouchements au sol si la femme le préfère », témoigne-t-il.
Au-delà du manque des services non adaptés aux femmes handicapées motrices, les attitudes condescendantes du personnel de santé sont également un grand défi pour ces femmes. Elles sont le plus souvent laissées sans assistance adéquate pendant l’accouchement et victimes d’un manque d’antipathie qui les font se sentir invisibles…

«….Nous sommes mal traitées dans les CMI, n’en parlons pas dans les hôpitaux…»
Sanata Djiguemdé
Sanata Djiguemdé, 40 ans, en situation de handicap moteur et mère de 3enfants, se souvient de sa première grossesse survenue il y a 10 années.
Assise avec son 3ᵉ enfant en son sein, elle dénonce le mauvais traitement qu’elle a subi au Centre Universitaire de Yalgado. « J’ai été à l’hôpital pour mon accouchement, on m’a fait coucher sur la table et, au moment de faire la césarienne, une sage-femme est entrée dans la salle pour alerter qu’un voleur a volé une moto dans leur parking. Ils m’ont tous laissé sur le lit d’opération toute nue pour se préoccuper du voleur de moto », se remémore-t-elle en secouant la tête.
L’équipe qui lui avait été affectée a préféré se préoccuper du voleur de moto que de sa vie. Des heures plus tard, Sanata n’a pu être prise.

À l’entendre, dans certains hôpitaux, il n’ y a aucun respect accordé aux femmes enceintes handicapées moteur. « Nous sommes mal traitées dans les CMI, n’en parlons pas dans les hôpitaux. Les agents de la santé doivent être formés en communication avec les handicapées afin de garantir un traitement respectueux et approprié à toutes les patientes. Ils doivent considérer et traiter équitablement les personnes en situation de handicap et les personnes valides. Nous aussi, nous voulons faire des enfants. Être handicapé ne sous-entend pas que nous allons forcément mettre au monde des enfants handicapés », gronde-t-elle avec amertume.

« …Nous aussi, nous sommes des femmes et nous avons besoin d’enfants…»
Fanta Sanogo
« Les handicapés moteurs rencontrent énormément de soucis dans les hôpitaux lors des visites prénatales ou de l’accouchement. D’autres préfèrent accoucher à domicile que de se rendre dans les centres de santé », affirme Fanta Sanogo.
Fanta Sanogo, mère de 3 filles, est une grande défenseure des causes des femmes handicapées. Elle est présidente de l’union burkinabè des associations pour la promotion et l’inclusion des femmes handicapées et travaille au Centre National des personnes handicapées de Gounghin en tant que secrétaire. Sa seconde grossesse, particulièrement à Yalgado, a été la plus difficile.
De 6 heures du matin, Fanta n’a accouché par césarienne qu’aux alentours de minuit. Elle était négligée par les sages-femmes de Yalgado qui l’ont délaissée lorsqu’elles ont constaté sur son carnet qu’elle était handicapée moteur. « Certains agents ont une idée limitée des femmes handicapées. Ils ne le disent pas ouvertement, mais leurs comportements démontrent souvent que notre situation est déjà un problème et qu’il ne faut pas en rajouter en prenant une grossesse. Nous avons une dignité, il faut que les gens le comprennent. Nous sommes des femmes. Nous ne pouvons pas dire que nous ne ferons pas d’enfants parce que nous sommes handicapées. Nous avons aussi des droits et avons des enfants », dit-elle d’une voix tremblante.

« Lorsque je devais aller en consultation, je m’achetais de beaux vêtements neufs et je m’habillais correctement pour éviter les dérangements des sages-femmes de Yalgado »
Nadine Ouédraogo
Nadine Ouédraogo, âgée d’une quarantaine d’années, mère d’une fille, confirme le témoignage de Sanata. « Être une femme handicapée et être enceinte, c’est un double poids », atteste-t-elle tristement.
Pour sa part, ayant entendu des échos sur le comportement des sages-femmes envers les handicapées moteurs, Nadine a adopté une stratégie de branding pour intimider les agents du Centre Universitaire de Yalgado. « Lorsque je devais aller en consultation, je m’achetais de beaux vêtements neufs et je m’habillais correctement pour éviter les dérangements des sages-femmes de Yalgado », indique-t-elle catégoriquement.
Le jour de son accouchement, se rappelle-t-elle, a été également une mauvaise expérience pour elle malgré le moral de fer qu’elle avait su adopter avec tact. « J’ai eu un malentendu avec un des médecins. Quand il a pris mon échographie, il a dit : Toi-même tu sais que tu ne peux pas accoucher ici et tu viens. « Couche toi, on va t’anesthésier !», raconte-t-elle d’une voix colérique.
Après 15 à 20 minutes de disputes, Nadine a refusé de se faire opérer par ledit médecin, mais s’est fait accoucher par son remplaçant. « Je suis rentrée à 10 heures dans la salle d’accouchement et, vers 10 H 15, je suis ressortie. Je n’oublierai jamais ce médecin. Il m’a très bien traité », témoigne-t-elle en réitérant sa reconnaissance au dit médecin d’origine tchadienne. Elle fait le plaidoyer au gouvernement d’intégrer des modules ou des livres dans les écoles de formation, surtout au niveau de la santé et de l’éducation, qui prennent en compte les personnes handicapées.
Aussi, le maïeuticien Wahabou Sanou Tassere propose que le gouvernement mette en place un comité dans les hôpitaux qui va faire des tris des patientes afin de prioriser les femmes en situation de handicap moteur. Il suggère également de développer des actions de communication à l’endroit des populations et des sensibilisations sur des protocoles de prise en charge des personnes handicapées en fonction du handicap de la patiente.
Annick HIEN/MoussoNews