Souvent reléguée à un rôle d’animation ou perçue comme un simple divertissement, la danse reste un métier sous-estimé dans de nombreuses sociétés africaines, dont le Burkina Faso. Pourtant, derrière les chorégraphies millimétrées et les apparitions scéniques se cachent des heures de travail, de discipline, de sacrifices et de passion. 2 jeunes femmes en sont la parfaite illustration : Djamilatou Zoungrana, alias Djami de Londres, et Carine Bah, connue sous le nom de Innocenta, Ivoirienne vivant au Burkina depuis près de 10 ans.
Djamilatou Zoungrana, plus connue sous le nom de scène « Djami de Londres », est une jeune danseuse burkinabè. Un surnom intrigant, qui n’a pourtant rien à voir avec un voyage ou une résidence à Londres. « Ce sont mes amis qui m’ont appelée comme ça à cause de mon style vestimentaire. Ils disaient que je m’habille comme une fille de Londres. J’ai adopté ce nom, même si je n’ai jamais mis les pieds là-bas », confie-t-elle dans un éclat de rire.

Le parcours de Djami n’est pas linéaire. Elle abandonne ses études après un échec au BEPC, enchaîne les petits boulots de la vente de puces à celle de produits alimentaires avant de retrouver sa véritable vocation : la danse. Une passion née sur les bancs de l’école primaire, au rythme des fêtes de fin d’année et des soirées culturelles. « Je faisais tout. Mais la danse, c’était en moi », affirme-t-elle.
Sans formation académique, elle affine ses compétences au contact d’amis danseurs, dans les répétitions et sur scène.
Aujourd’hui, elle vit pleinement de son art. Entre répétitions, prestations, tournages et voyages, son emploi du temps est bien rempli. « Je voyage beaucoup. Donc dès que j’ai un moment libre, je me repose. Les tournées, ce n’est pas évident », explique-t-elle.
Un style urbain assumé
Son style de danse, résolument urbain, s’inspire du coupé-décalé et de la danse afro-urbaine. Et contrairement aux idées reçues, elle affirme sans détour : « La danse paie très bien. Je vis de ma danse et je compte réaliser beaucoup de projets grâce à mes revenus ».
Parmi toutes les aventures qui ont jalonné le parcours de Djami, une tournée reste gravée dans sa mémoire de 2019 avec l’artiste Akoso en Italie. « C’était la première fois que je prenais l’avion. On a passé un mois en Europe. Ce voyage a confirmé que la danse peut vraiment m’ouvrir des portes », raconte-t-elle avec émotion.
Mais le métier n’est pas toujours simple. Les critiques, les jugements, les stéréotypes sont monnaie courante. « Au début, ça me faisait mal. J’ai même pleuré. Mais aujourd’hui, ça ne me touche plus. Ceux qui critiquaient voient maintenant que je vis de ma passion », témoigne-t-elle.
Quid les clichés sur les danseuses ? Elle les balaie d’un revers de main. « On dit que les danseuses sortent avec les artistes. Mais ça fait quoi ? Ce sont être humains avant tout. Peut-être que ça existe, mais moi, jamais vu. Je n’ai jamais eu de relation avec un artiste. Ce n’est pas une règle générale », a-t-elle répondu.
Liberté artistique et indépendance financière
Contrairement à certaines danseuses qui signent des contrats exclusifs avec des artistes, Djami refuse de se lier à un seul musicien. « Je préfère garder ma liberté. Être attachée à un artiste, c’est risquer de manquer d’autres opportunités. Moi, j’aime trop le mouvement… et j’aime trop l’argent », dit-elle sans détour.
Cette liberté lui a permis de collaborer avec de nombreux artistes burkinabè et internationaux, comme Amzy et de participer à plusieurs clips et festivals.
Très active sur TikTok, Djami y vend aussi des articles féminins : sacs, mèches, vêtements… Elle est également sollicitée comme ambassadrice de marques dans divers contrats publicitaires.

Son ascension s’accélère grâce au challenge viral « Marcoufoure » qu’elle lance sur TikTok. « J’ai posté une vidéo, en une heure j’étais à 100 000 vues. Tout est parti de là. Même si dans le clip remix on ne m’a pas bien montrée, ceux qui me connaissent savent que j’étais là », affirme-t-elle.
Désireuse de transmettre, elle prépare pour les mois de juin-juillet, un stage de danse intitulé London Dance, sous le thème : « Danser, c’est faire du sport ». L’objectif : former les jeunes pendant les vacances et partager son expérience. « J’ai tout calé. Il ne reste que la fin des examens », dit-elle avec assurance.

Innoncenta : De la timidité à la scène
Carine Bah, alias Innoncenta, est une danseuse et chorégraphe d’origine ivoirienne vivant au Burkina depuis bientôt 10 ans. Son surnom découle d’une remarque récurrente : « Quand j’arrive dans un lieu pour une prestation, je suis silencieuse, recroqueviller sur moi-même. C’est quand je monte sur la scène qu’on se rend compte que je suis une danseuse. Pour une personne qui ne me connait pas et qui me voit pour sa première fois, il va se demander, humm est ce que celle-là peut danser ? Tu as l’air Innocente. Et les avis changent immédiatement quand je danse ; je fais autres choses », détaille-t-elle en souriant. Et d’ajouter qu’elle laisse son travail parler d’elle.
Arrivée au Burkina par curiosité, Innocenta débute comme serveuse dans un bar. Mais ce métier, jugé trop éprouvant, ne lui convient pas. « Être serveuse dans un bar, ce n’est pas évident de supporter les humeurs, les insultes et souvent des coups. Donc j’ai arrêté », se souvient-elle.

Danseuse et mère de famille
Mère de 2 enfants, Innoncenta, âgée de la trentaine se consacre aujourd’hui entièrement à la danse. Elle a travaillé avec des artistes de renom, burkinabè, ivoirien, camerounais, : Carina De Style, Krys M, Bébéto Bongo, Imilo Le Chanceux, Miss Tanya, Greg Burkimbila, Floby, Dez Altino, Miss Maya, Ariel Sheney, Dj Arafat, Dj Kedjevara, Lady Ponce, Mister Easy, Fanicko, etc.
Pour elle, l’artiste et le danseur sont complémentaires ; et il faut de la communication pour une bonne collaboration.
Depuis 2022, Innocenta complète sa pratique urbaine par une formation en danse contemporaine au Centre de Développement Chorégraphique la Termitière. Cette discipline lui permet de donner plus de sens à ses mouvements. « On se demande pourquoi on pose le pied ici, ce qu’on veut exprimer. C’est à partir de là qu’on commence à créer », explique-t-elle avec conviction.

Elle ambitionne de voyager à travers le monde grâce à la danse, mais aussi de se lancer dans la restauration. « J’adore découvrir de nouvelles choses. Une vie épanouie, pour moi, c’est celle où l’on bouge », affirme-t-elle.
Briser les clichés sexistes
Sur les rumeurs de relations entre artistes et danseuses, Innocenta est claire et refuse de juger. « Chacun a sa vie. Ce sont des êtres humains, s’ils ont des envies, ils vont les assouvir. Je ne sais pas pourquoi les gens devraient choisir avec qui telle ou telle doit être. Je n’ai rien à dire. Qu’ils vivent leurs vies de couple ou qu’ils profitent de leurs relations qu’elle soit libre ou pas. Pourvu qu’ils aient un bon rendu quand ils vont en prestation », rétorque-t-elle avec assurance.
Un artiste musicien burkinabè, interrogé sur le sujet, confirme cette réalité souvent taboue. « Les artistes et leurs danseurs travaillent souvent très étroitement, répètent ensemble pendant des heures, partagent des scènes, des coulisses, des tournées… Ce temps intense passé ensemble peut créer des liens forts, de la complicité, voire une attirance. On partage une passion commune pour l’art, le rythme, le spectacle. Il y a une compréhension mutuelle sans mots. Alors oui, ce n’est pas “censé” arriver, mais comme dans n’importe quel lieu de travail, des relations peuvent naître naturellement. La danse, par sa nature expressive, peut rapprocher les gens », a-t-il souligné sous anonymat.
Innocenta a remporté 2 prix de meilleure danseuse urbaine et garde en mémoire son premier voyage en France comme un moment inoubliable.

À celles qui souhaitent suivre son exemple, Innocenta adresse ce message : « Il faut travailler 100 fois plus que les hommes. Il n’y a plus de différence entre les genres dans ce milieu. Il faut se battre et repousser ses limites chaque jour pour se démarquer », martèle-t-elle.
Annick HIEN/MoussoNews