Dr Ouédraogo Nabonswendé Aïda Nadège est à la fois professeure-chercheure en Chine et présidente du Haut Conseil des Burkinabè de l’Extérieur, section Pékin. De Ouagadougou à Chongqing, en passant par Taipei et Pékin, son parcours impressionne autant qu’il inspire. Titulaire d’un PhD en science des matériaux, spécialisée dans le développement de cellules photovoltaïques de nouvelle génération, elle concilie avec rigueur vie scientifique, responsabilités familiales et engagement communautaire.

Qui est Dr. Ouédraogo ? Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours académique et professionnel ?
Je me nomme Ouédraogo Nabonswendé Aïda Nadège, une jeune femme burkinabè, fière de mes origines, passionnée par les sciences, mère et épouse, actuellement résidant et exerçant le métier d’Enseignant-Chercheur en République Populaire de Chine (RPC).
Je suis titulaire d’un Master en Ingénierie de l’eau et de l’environnement, avec une spécialisation en génie électrique et énergétique, obtenu en 2015 à l’Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement (2iE). Suite à l’obtention de mon diplôme d’ingénieur, j’ai exercé pendant quelques mois en tant qu’ingénieur de recherche au sein d’une entreprise locale spécialisée dans le domaine de l’énergie photovoltaïque.
J’ai ensuite poursuivi mes études doctorales en Chine, débutant par une année d’études de langue chinoise à Taipei (Taiwan) (2016-2017), suivie de ma première année de doctorat (2017-2018). Je poursuivis ensuite mes recherches à la « Beijing University of Technology » de 2018 à 2021, où j’ai obtenu mon PhD en science des matériaux.
Depuis l’obtention de mon doctorat, j’exerce en tant que chercheuse à l’Université de Chongqing, où mes travaux portent sur le développement et la fabrication de cellules photovoltaïques de dernière génération.
Qu’est-ce qui vous a conduit jusqu’à l’Université de Chongqing, en Chine ? Était-ce un choix ou une opportunité ?
Oui, c’était un choix, car l’équipe que j’ai intégrée est l’une des équipes leader dans mon axe de recherche (cellules photovoltaïques à base de perovskite). C’était également un choix de cœur, car j’ai voulu rejoindre mon époux qui y travaillait déjà comme chercheur.
Quels ont été les plus grands défis à relever en tant que femme africaine dans le monde académique chinois ?
Je dirais que le plus grand défi a été de concilier ma carrière et mes responsabilités familiales. Avec nos horaires et programmes chargés, il est souvent difficile de trouver un équilibre entre une carrière scientifique exigeante et les responsabilités domestiques, surtout qu’étant éloignée de ma famille et ne bénéficiant d’aucune ou très peu d’aide, ce défi peut être encore plus complexe à gérer. Aussi, la solitude peut être parfois très pesante, car, en raison des différences culturelles, il m’est difficile de me faire des amies partageant mes réalités.
Comment se passe votre travail de professeure à l’Université de Chongqing ? Quelles disciplines enseignez-vous ?
Je fais plus de la recherche que de l’enseignement, car mes principales tâches s’articulent autour de la recherche sur le développement et la fabrication de cellules photovoltaïques à base de pérovskite. L’ensemble de mes travaux est disponible sur le lien suivant : NABONSWENDE AIDA NADEGE OUEDRAOGO – Google Scholar. Les quelques cours sporadiques que je donne portent essentiellement sur les nouveaux matériaux utilisés dans les technologies photovoltaïques de dernière génération et les techniques de caractérisation de ces derniers.
Quelle perception les étudiants chinois ont-ils de l’Afrique et des Africains ?
Il m’est difficile de donner un avis général, mais, de mon constat, les étudiants chinois pour la plupart ont une connaissance très limitée de l’Afrique et des africains. Du reste, ils sont néanmoins curieux d’en apprendre davantage sur nos origines et cultures.

Avez-vous observé des différences marquantes entre les systèmes éducatifs chinois et burkinabè ?
La différence est frappante, ne serait-ce déjà que par la taille des infrastructures universitaires. Certaines universités chinoises sont des mini-quartiers avec des équipements de pointe. Cela dit, je pourrais néanmoins catégoriser les différences qui m’ont le plus marquées en deux grands points.
Premièrement, il s’agit du système de passage d’un niveau à un autre, conditionné par des examens très stricts. La compétition est intense, et l’échec à un examen peut compromettre tout le parcours académique d’un étudiant et orienter sa vie à jamais. Ce système favorise l’élitisme, mais crée aussi une grande pression psychologique. Par exemple, pour avoir une admission au Master, les meilleurs étudiants ont la largesse de choisir leurs université et leur laboratoire d’accueil très tôt, tandis que, pour les autres, cela est conditionné par un examen. Ceux qui auront échoué ne pourront pas avoir une d’admission au Master et sont donc contraints de se contenter de leur Bachelor (Licence)
Ensuite, les fonds alloués à la recherche au niveau des universités sont conséquents. La Chine consacre d’importants investissements à la recherche, et cela se manifeste de manière évidente tant par la qualité, que par la quantité de ses productions scientifiques, ainsi que par le nombre de brevets et d’innovations technologiques générés.
En tant que déléguée du Haut Conseil des Burkinabè de l’Extérieur pour la Chine (section Pékin), quels sont vos rôles et responsabilités ?
En tant que déléguée HCBE, mes responsabilités s’articulent autour du renforcement des liens de cohésion de la communauté Burkinabè en Chine, de la promotion des intérêts scientifiques, économiques et culturels du Burkina Faso en Chine. Il s’agit aussi pour moi d’assurer une représentation active et servir de relais efficace entre les autorités burkinabè et la diaspora Burkinabè en Chine.
Quelles sont les principales préoccupations ou difficultés rencontrées par la diaspora burkinabè en Chine ?
Les ressortissants de ma zone sont majoritairement des étudiants, et leurs principaux défis s’articulent autour du bon déroulement de leurs études et des opportunités d’insertion professionnelle à l’issu de l’obtention de leur diplôme.
Comment travaillez-vous pour fédérer et représenter une communauté burkinabè parfois dispersée dans un pays aussi vaste ?
Grâce aux avancées technologiques, une telle problématique ne se pose plus véritablement. Nous exploitons les divers canaux de communication numériques à notre disposition en Chine. Cela nous permet de maintenir des échanges aisés et de faire passer les informations utiles.
Quel rôle la diaspora burkinabè peut-elle jouer concrètement dans le développement du pays ?
La diaspora a un rôle important à jouer dans le développement de notre pays, car pour moi, certes nous sommes physiquement loin du pays, mais nos cœurs et pensées sont permanemment tournés vers notre patrie. Nous pouvons, à mon humble avis contribuer à deux niveaux majeurs :
1) Le développement scientifique : Nous avons des chercheurs et ingénieurs très compétents ici en Chine (Taïwan y compris), et qui ne demandent qu’a faire valoir leurs compétences au service du pays. Des projets allant dans ce sens peuvent donc être mis en place afin de faciliter le transfert de technologie.
2) Le développement économique : les Burkinabè établis en Chine peuvent servir d’acteurs pour attirer les investisseurs chinois dans notre pays, et potentiellement les motiver à installer leurs usines au Burkina Faso, toute chose qui contribuera à développer notre économie. Nous avons déjà quelques exemples ayant réussi ce processus et cela mérite d’être davantage vulgarisé.
Selon vous, que faut-il améliorer dans les relations entre l’État burkinabè et sa diaspora ?
Je pense que l’État burkinabè pourrait davantage considérer les expertises burkinabè excellant à l’international, et offrir des passerelles afin que la diaspora puisse s’exprimer pleinement et contribuer dans les secteurs que sont la Science, la Technologie et l’Economie. Je propose que l’État procède à un recensement rigoureux des experts Burkinabè de la diaspora et mette en place un mécanisme de consultation systématique de ces derniers chaque fois que cela s’avérera nécessaire.
Vous êtes une femme leader dans un contexte international: que représente cet engagement pour vous?
Merci de le penser. Cet engagement est une opportunité de contribuer à un monde plus équitable et plus inclusif, quand on sait que les femmes rencontrent dans une certaine mesure, plus de challenges pour s’affirmer. C’est également pour moi, un moyen de défier les normes établies afin de démontrer que le leadership ne connaît pas de frontières, de genres ou de cultures.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes filles burkinabè qui rêvent d’une carrière à l’international ?
Je dirais qu’il faut être audacieuse, persévérante, et passionnée par ce que vous faites. Osez rêver grand, mais restez fidèle à vos valeurs et à votre vision pour l’avenir. Aucune courte échelle ne saurait vous valoriser ni vous être bénéfique. Au-delà de tout, restez courageuse et croyez en votre potentiel, car les embuches ne manqueront pas.
Avez-vous rencontré des obstacles liés au genre dans votre parcours, et comment les avez-vous surmontés ?
Comme indiqué précédemment, mes principales difficultés demeurent liées à la conciliation des activités professionnelles et familiales. Heureusement, j’ai un époux compréhensif qui s’investit pleinement pour faciliter notre quotidien, et c’est le lieu pour moi de lui traduire ma profonde reconnaissance pour ses efforts. J’ai néanmoins dû faire preuve d’une organisation rigoureuse afin d’optimiser mon temps et d’éviter les burn-out.
Qu’est-ce que la Chine vous a appris humainement et professionnellement ?
La plus grande leçon apprise de la Chine est le travail bien fait dans les délais impartis. Rien n’est jamais trop dur, ni impossible. Le tout est de toujours bien faire son travail et de rester focalisé sur ses objectifs. Une autre belle leçon apprise est que la proactivité est une valeur sûre qui permet d’arriver au bout de ses objectifs.
Quels projets ou ambitions nourrissez-vous encore pour la communauté burkinabè ou pour le retour au pays ?
Pour notre communauté, je souhaite que nous bâtissions une communauté respectée en Chine, qui diverge des stéréotypes collés à certains Africains.
Pour le retour au pays, j’espère pouvoir apporter une contribution significative à la Science et à l’Economie de mon pays en développant des initiatives dont je me garderai pour l’heure d’exposer.
Quel est votre rêve pour le Burkina Faso d’ici 10 ans ?
Je rêve d’un Burkina Faso en paix et en sécurité, en plein boom économique où les citoyens auront accès à des services de qualité tant sur le plan sanitaire, qu’alimentaire. Un pays où les enfants ont tous accès à une bonne éducation de base, mais aussi à la technologie, afin que le pays soit doté d’une main-d’œuvre fortement qualifiée. Je rêve également d’un pays où les femmes ne seront plus hésitantes quant à assumer des postes de responsabilités par peur du qu’en-dira-t-on ou du syndrome de l’imposteur, qui nous garde que trop souvent enchaînées à des chaînes invisibles ; où les bonnes mœurs et les valeurs de travail seront les plus prisées.

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Si vous aviez un message à adresser à la jeunesse burkinabè, quel serait-il ?
Je n’ai qu’un seul message : soyons des jeunes patriotes, travailleurs et dynamiques. Évitons les distractions inutiles qui nous font perdre nos valeurs et travaillons tous ensemble pour le bonheur de notre patrie. Aucune magie n’existe dans la réussite. À force de travail, nous arriverons à changer le visage de notre pays.
Enfin, que signifie pour vous le mot « diaspora » aujourd’hui ?
Ce mot représente l’ensemble de toutes ces belles âmes qui sont attachées à notre mère patrie et qui luttent d’où qu’elles se trouvent pour le bien du pays. La diaspora pourrait, si elle est utilisée judicieusement, se résumer en un véritable moteur de développement scientifique, technologique et économique.
Interview réalisée en ligne par Annick HIEN/MoussoNews