Burkina : Militaires à la retraite, ils ont troqué leur arme et tenue contre l’agropastorale

La retraite. C’est une nouvelle qui commence pour tout travailleur et non la fin d’un métier. Pour le cas des militaires, certains se reconstruisent loin des casernes, mais dans des fermes. Ils servent la terre avec la même rigueur que sur le champ de bataille.

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Ali Sambo s’est reconvertit dans l’agro sylvo pastorale dont sa ferme.

Bottes au pied, gros bâton à la main, Ali Sambo n’est plus un militaire mais il sillonne sa ferme comme un général inspectant son bataillon.


Ali est à la retraite depuis janvier 2022 après près de 40 ans de service militaire. « Durant ma carrière, tout s’est bien passé. Je suis heureux d’avoir bien accompli ma mission et d’être à la retraite ; c’est une grâce », se rappelle-t-il.

Ali a toujours pensé à sa vie de retraite lorsqu’il était toujours militaire.
Fils d’agriculteur, il a toujours travaillé la terre. Cela a été un grand atout pour lui dans sa reconversion. 20 ans auparavant, il savait déjà qu’il serait dans l’agropastorale après sa carrière de militaire. 4 ans avant sa retraite, Ali avait lancé son petit projet de poulailler. “Ça vaut une vingtaine d’années que j’ai pensé à ça. J’ai pensé quand même à me trouver une occupation à la retraite. Je voulais être un peu libre dans la nature”, se remémore-t-il.

Aujourd’hui, Ali possède une ferme de 2 hectares et demi à Boula, une commune rurale de Komsilga, au Burkina Faso.

Ali n’a pas bénéficié de formations à la fin de sa retraite comme certains militaires. ‘’Je n’ai pas reçu de formation au départ, mais à la fin de ma carrière il y a toujours une porte qui est ouverte pour les militaires qui veulent se reconvertir. Il y a des formations qui sont offertes, ça dépend des domaines dans lesquels vous voulez exercer. C’est vers la fin que j’ai eu un appui qui m’a permis de renforcer mes capacités d’exploitation. Sinon je suis parti sur mes propres fonds, et tout doucement on a fait ce qu’on pouvait », indique-t-il.

La rigueur inculquée par son métier de militaire l’aide aujourd’hui dans sa vie d’agriculteur et d’éleveur. Pour lui, faire sa reconversion dans l’agro-pastorale est plus qu’un plaisir. ‘’J’aime être en harmonie avec la nature, parce que tout ce que nous avons nous vient de la nature’’, dit-il d’un air comblé.

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’La terre ne ment pas, si vous la travaillez, elle vous rend tous les efforts que vous avez mis en elle.’’

Ali Sambo


Dans sa ferme à Boula, Ali Sambo cultive du maïs, des courges, des bananiers, des citronnelles, des manguiers. Il dispose également d’une plantation de tangelo de plus de 60 pieds depuis 2 ans, de citronniers, de manguiers, de pépinières d’oignons… Mais ce n’est pas tout, Ali élève des bestiaux, des petits ruminants, des volailles locales et du poulet amélioré.

Sa ferme est comme son second domicile. Son quotidien est bien structuré. Dès le matin, Ali enfile ses bottes puis fait le tour de ses poulaillers afin de voir si tout va bien dans la ferme. Puis, il vérifie son château d’eau et commence à arroser les plantes avant de revenir prendre son petit déjeuner qui est naturellement du lait de vache trait par son berger.

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La ferme de Ali Sambo est située à Boula dans la commune de Komsilga.

Outre, pour maintenir ses bœufs en forme, Ali cultive le ‘’maralfafa’’, une plante fourragère qui nourrit convenablement les bœufs. De plus, il plante également les poils d’angol dont raffolent les boeufs. À en entendre le militaire reconverti, les poils d’angol rendent ses soles riches. ‘’Lorsque les feuilles tombent, ça rend le sol riche ; quant aux graines, je les écrase pour nourrir ma volaille’’, explique-t-il. Dans la ferme de Ali, rien ne se jette. En effet, l’eau utilisée pour restaurer et abreuver les canards et oies est après déversée dans les champs pour enrichir les sols.

Mais il faut avoir des employés qualifiés, honnêtes….

L’une des plus grandes difficultés que rencontre Ali Sambo est la gestion des employés. De son avis, avoir un espace où mener son activité ne suffit pas. Il faut aussi avoir des employés qualifiés, honnêtes et qui s’intéressent à l’activité. ‘’Si vous n’avez pas de bons employés, vous n’allez pas réussir. Parce qu’il faut qu’ils veillent au strict respect de l’hygiène et à l’alimentation de la volaille’’, dit-il d’un air sérieux en se rappelant de ses employés précédents qui se sont mal occupé de son projet de verger de manguiers de sorte qu’il en perd beaucoup.

Regarder la vidéos ici: https://youtu.be/_GWdg2N55RA?si=IDOPsrNqCEJ81DwV

Parmi son équipe actuelle, se trouvent des PDI venus de Djibo et de Kaya. Pour l’heure, le militaire reconverti n’a rien à leur reprocher. ‘’Ce que j’aime voir aussi, c’est le berger qui traite le lait chaque matin. Je le regarde, il prend la quantité et puis on se sert pour le petit déjeuner’’, lance -t-il en souriant fièrement. Et de poursuivre qu’il contribue à sa manière à la réinsertion sociale de certaines personnes, particulièrement des PDI.

Amadou Tamboura est PDI originaire de Djibo. À cause du terrorisme, Amadou et sa femme ont trouvé foyer dans la ferme d’Ali depuis 3 ans. Auparavant éleveur dans sa zone d’origine, Amadou s’occupe des bestiaux et des petits ruminants de Ali tandis que sa femme s’occupe des pépinières. Quant à Maïga, PDI venu de Kaya, il s’occupe particulièrement de l’agriculture.

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Amadou Tamboura, PDI originaire de Djibo, travaille dans la ferme de Ali en tant que éleveur.

De plus, Ali travaille également avec un de ses fils, Seckou, depuis 5 ans. Agent vétérinaire, Seckou veille à ce que tout se passe bien dans la ferme. Après son BEPC, le jeune homme a vite demandé à collaborer avec son père. Et depuis lors, il est les yeux et les oreilles de son père dans la ferme qu’il qualifie de grand ‘bosseur’.

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Seckou, le fils de Ali travaille aussi dans la ferme .

En effet, de nombreuses personnes vivent dans la ferme de Ali. Parmi elle, Ouédraogo Marie, veuve depuis plusieurs années, s’occupe de ses 5 enfants grâce à la vente d’aliments pour les bestiaux à Ali. Travaillant dans un champ non loin de la ferme de Ali, Marie ravitaille la ferme de Ali en aliments depuis plus de 3 ans. ‘’Quand on finit de recoller le mil, on garde les tiges qu’on revient livrer à Ali’’, dit-elle en soulevant un lot de mil.

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Ouédraogo Marie, fournit à Ali les aliments pour le bétails.


‘’Je me suis reconverti avant la reconversion »,

Noula Bindi


Plus loin, à plus de 31 km de Ouagadougou, se trouve Noula Bindi, également militaire à la retraite depuis le 1ᵉʳ janvier 2019. Entré en fonction en 1982, il cumule 36 ans de service et est aujourd’hui éleveur accompli dont la ferme est située à Komkaba dans la commune de Saaba.

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La ferme de Noula Bindi se trouve à Komkaba dans la commune de Saaba.

Après ses riches expériences, sa retraite a été subie pour lui. Avoir une cour à Ouaga pour mettre en location et vivre de ses loyers. C’était sa seule ambition pour sa vie de retraite.

Très vite, il s’est empressé de le concrétiser. À ses 26 ans de service, il a pu construire ses logements à mettre en location et dispose même de sa propre maison où vivre tranquillement sa retraite. ‘’Mon objectif pour ma retraite, c’était d’avoir des cours, de construire d’autres cours pour pouvoir survivre avec les locations’’, se rappelle-t-il tout fier.

Chose dite, chose faite. Avant même d’être admis à la retraite, Noula avait déjà de quoi survivre après sa vie de militaire : ses cours mis en location à Bendogo.

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Noula Bindi, militaire reconvertit dans la sylvo agro pastorale.

Après ce premier projet, il s’est dit qu’il pouvait réaliser plus. ‘‘Quand j’ai construit mes cours de location, je me suis dit que je pouvais continuer à réaliser. C’est là qu’il opte pour l’élevage et l’agriculture », se remémore-t-il avec un léger sourire.

Il s’acquiert un terrain de 3 hectares où il commence l’agriculture en 2017 avec un seul tricycle dont il se souvient très nostalgique. À ses débuts, il cultivait le haricot et le maïs. Toujours en quête d’ambition, Noula débute aussi l’élevage. ‘’Voilà que mes ambitions sont parties dans la foulée et la rapidité que je n’avais pas prévu de faire l’élevage. C’est à la dernière minute que j’ai décidé de le faire mais je ne le regrette pas aujourd’hui », raconte-t-il avec une lueur aux yeux.

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Cependant, Noula préfère l’élevage à l’agriculture.

Dans sa ferme, Noula privilégie l’élevage des volailles, des ruminants. À ce jour, il ne fait plus l’agriculture. Pour lui, l’élevage est beaucoup plus rentable. ‘’Un seul ruminant couvre tout ce que je cultive. Donc je mise beaucoup plus sur l’élevage’’, indique-t-il tout content.

Comme Ali, Noula vit dans sa ferme et dort même au milieu de ses poussins afin de les surveiller. ‘’Le poussin, quand il se renverse sur son dos, il ne peut plus se relever seul, il faut l’aider. Donc je dépose mon Lupico », affirme-t-il. Dès l’aube, il quitte le nid de ses poussins et fait la ronde de sa ferme.

Voir la vidéo ici: https://youtu.be/5LpfttNur4s?si=GI4W0x71-majm053

Dans sa reconversion, Noula rencontre également le même défi : la difficulté de trouver des employés honnêtes et loyaux. A la différence, Noula ajoute le manque de forage, de clôture, la présence de reptiles qui attaquent souvent les ruminants à ses défis. Mais il reste optimiste qu’il va très bientôt les surmonter. ‘’Si j’avais su que tout irait parfaitement bien comme ça, j’aurais quitté mon métier plus tôt, je m’en sors mieux même que quand j’étais en activité. Pourtant quand on me parlait de la retraite à cette époque, je craignais’’, rassure-t-il.

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Urbain, le fils de Noula supervise toutes les activités de la ferme.

Tout comme Ali, Noula travaille aussi avec son fils, lui aussi agent vétérinaire. Urbain collabore avec son père Bindi depuis près d’un an. Il supervise toutes les activités de la ferme. ‘’ Je veille sur l’alimentation des animaux et des volailles et en cas de maladie, je me charge de les faire soigner’’, affirme t-elle. Mais il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il prévoit de créer sa pharmacie vétérinaire et la provenderie.

‘’Je veux m’intéresser à tout ce qui relève de l’élevage car j’ai fait la production animale’’, dit-il d’une voix dynamique. Toutefois, Urbain n’est pas le seul à prêter main-forte à son père dans la ferme. Boureima Kindo a aussi sa part de responsabilité. Originaire de Ouahigouya, il travaille dans la ferme de Noula Bindi où il veille sur le bétail depuis 5 mois.

Militaire retraité, entrepreneur accompli, Noula partage ses expériences et incite à l’entrepreneuriat.

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Noula a bénéficié de deux crédits du FONADR pour relancer ses activités d’élevage.


Militaire retraité et entrepreneur accompli, Noula partage, grâce au Fonds d’Appui aux Travailleurs Déflatés et Retraités (FONA-DR), souvent ses expériences avec des personnes qui ambitionnent de se lancer dans l’agro-pastorale. ‘’Beaucoup de fermiers sont passés par moi, des retraités, des retraités, des docteurs, des grands cadres. Je les assiste, les forme et ça marche’’, révèle-t-il en affirmant toutefois que rien n’est parfait.

De ses débuts à aujourd’hui, Noula indique que le FONA-DR a joué un rôle important dans sa reconversion. Parti de ses propres fonds, de ses connaissances et de sa détermination, Noula a à mi-parcours bénéficié d’un fonds du FONA-DR, dont il est profondément reconnaissant. ‘’J’ai bénéficié de 2 crédits avec le FONA-DR. Quand je commençais, je ne les connaissais pas, puis après je les ai connus et ils m’ont aidé lorsque je les ai approchés’’, reconnaît-il. Grâce au FONA-DR, Noula a pu acquérir un forage.

À ses débuts, il parcourait 7 km 3 fois par jour pour se procurer de l’eau à Boudtenga pendant 7 ans. Mais depuis 1 an, ce chapitre sur l’eau est derrière lui. Il dispose même suffisamment d’eau à tel point que certains habitants non loin de sa ferme se ravitaillent chez lui. ‘’Ceux qui me traitent de fou au début, parce que je parcourais 7 km 3 fois par jour pour chercher de l’eau, enlèvent de l’eau chez moi aujourd’hui’’, souligne-t-il en témoignant une immense reconnaissance au FONA-DR.

Il tance surtout les futurs entrepreneurs, qui ne possèdent aucun terrain ni biens et se retournent vers le FONA-DR pour obtenir un soutien financier et matériel.

Au-delà du FONA-DR qui dispose depuis 2018 de fonds pour accompagner la vie après retraite, l’Agence pour la Promotion de l’Entrepreneuriat Communautaire (APEC) s’illustre aussi dans la reconversion professionnelle.

En effet, l’APEC n’attribue pas directement de fonds aux militaires à la retraite, mais elle soutient à travers des initiatives d’épargne, de formation en agro-pastoral. Et même à travers cette agence, le gouvernement a mis en place le plan d’épargne retraite complémentaire pour les militaires par la Coopérative Militaire et Paramilitaire d’Epargne et de C(COMIPEC).

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Grace au FONADR, Noula peut poursuivre ses activités et même prévoir ses perspectives.

‘’La retraite se prépare dès la rentrée. Quand on rentre dans une fonction, il faut se mettre en tête que ce n’est pas éternel’’.

Noula Bindi


Et à l’avenir ? Noula Bindi y voit un futur radieux. Il a des perspectives en vue dont l’expansion de son élevage de ruminants. Aux militaires, il les exhorte à discipliner leur attitude, leur comportement et à commencer à réfléchir à leur retraite. “Aux militaires, je voudrais leur dire que leur fonction n’est pas une cour paternelle. La retraite se prépare’’, a-t-il lancé.

À la jeune génération, il les encourage à travailler avec persévérance. Prenant le cas des adeptes des grains et du thé, il dénonce une paresse. ‘’Les jeunes n’aiment pas se battre. Ils n’aiment pas la souffrance. Pourtant sans souffrance, on ne peut jamais être dans le bonheur. Même si on t’a légué, si tu ne t’y mets pas, ça va partir », tance Noula Bindi, militaire à la retraite reconvertie en éleveur.

À l’image de Ali Sambo ou de Noula Bindi , la retraite n’est pas la fin d’un métier mais le début d’une autre vie.

Annick HIEN/MoussoNews

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