Ils ne se connaissaient pas. Mais en moins d’un mois, ils sont devenus plus qu’une famille. Un mois de brassage culturel, des habitudes ethniques et culinaires dans une ambiance de cohésion sociale, de dialogue communautaire, mais surtout de résilience. Le tout, avec une détermination à faire de la sécurité alimentaire, une réalité au Burkina. Ces jeunes 2 000 hommes et femmes des communes rurales ou villages de Zawara et Tô dans la Boucle du Mouhoun, Tiébélé et Pô dans la Région du Centre-Sud, Adentaga et Bagata dans la région du Centre-Est, et Diébougou dans la Région du Sud-Ouest, entre autres, ont bénéficié d’une formation intensive en agriculture dans le cadre de l’Initiative présidentielle pour la production agricole. Ambiance d’une journée avec eux, ce 1 mai 2025 !
« Je suis enceinte de 8 mois et demi. Je dois accoucher en fin mars (mars 2025, ndrl). Si cela était possible, j’allais rester accoucher ici et continuer l’apprentissage de l’agriculture. Je suis tellement heureuse d’être retenue », confie Awa Coulibaly, toute enthousiasmée le 8 mars 2025 (Nous y étions pour une visite le 8 mars 2025).
La jeune dame fait partie des 2 000 apprenants retenus pour la formation intensive en agriculture dans le cadre de l’Initiative présidentielle pour la production agricole. L’ambiance est conviviale en cette journée ensoleillée. Pioche, daba, pelle, ficelle, etc., ces jeunes hommes et femmes tiennent chacun un matériel pour le traçage des planchées. Nous sommes au Centre de formation Agro business Badouha de Loumbila situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou. « Nous sommes tellement fiers et contents d’avoir été retenus. Je viens de la région du Sud-Ouest. C’est la première fois que je traverse Ouagadougou pour venir ici à Loumbila. J’apprends beaucoup de choses. Depuis une semaine, nous sommes ensemble. On se familiarise et on apprend à se connaitre », témoigne Issouf Zan, 25 ans. Pioche en main, il défriche le sol qui va servir à planter les maïs.
Un apprenant, une histoire
Comprendre la terre, mais surtout prendre la décision que la terre et ses fruits seront vecteur de résilience, de dialogue communautaire et de cohésion sociale. C’est ce qui amine l’ensemble des apprenants à Loumbila au centre Agro Business Badouha. Adama, 32 ans, physiquement imposant, témoigne avoir apprécié une rencontre qui a eu lieu avec les leaders communautaires et coutumiers de la localité. « Je suis Bobo d’ethnie. Nous us et coutumes ne sont pas les mêmes que les Mossis. Mais ici, j’ai beaucoup appris grâce aux responsables coutumiers qui sont venus s’entretenir avec nous. Nous sommes un seul peuple et c’est ce qui doit nous guider chaque jour », dit-il.
A Badala, dans la Boucle du Mounhoun, Adama était pêcheur. Le regard lointain, il soupire. « Nous ne pouvons plus mener nos activités comme avant du fait de l’insécurité. Mais avec cette formation sur l’agriculture, je pourrai me reconvertir et contribuer à la sécurité alimentaire dans mon pays, le Burkina Faso. Nous pourrions aussi lutter contre l’extrémisme violent et la radicalisation. Beaucoup de jeunes se laissent enrôler parce qu’ils n’ont pas d’activité qui leur permet de vivre dignement », se promet-il.

Apollinaire Kientega, teint noir ciré, est visiblement heureux. 25 ans, étudiant en Droit, il a trouvé désormais son chemin et y voit son avenir. Son vœu le plus ardent : chasser la faim au Burkina. Pour cela dit-il : « Nous sommes suffisamment formés et outillés à s’adapter au climat burkinabè pour produire en masse pour les Burkinabè ».

Maïs, tomate, gombo, oseille, … la terre autrefois vide et sèche est aujourd’hui reverdit par les plants au Centre Agro Business. L’œuvre est de ces apprenants qui témoignent qu’ils peuvent de nos jours cultivés et produire même sur des roches. « Nous avons suffisamment reçu de techniques culturales et nous sommes capables de produire », rassure Apollinaire Kientega.
Quid de la cohésion sociale et du dialogue communautaire ?
Le jeune étudiant et future entrepreneur agricole, sourire au coin, informe qu’il appartient à un groupe – Adentenga-Bagata-. « Bagata est une commune rurale et je ne savais même pas que c’est une commune qui existait au Burkina. On est devenu des amis et nous nous sommes promis de se rendre visite après la formation pour renforcer la cohésion sociale. Par exemple, la rencontre avec les leaders communautaires a été très utile. Ils nous ont parler de cohésion, de promotion de paix et de solidarité », confie Apollinaire.
Issouf Biyen de la commune de To a 31 ans. Etudiant en Histoire, il a appris les techniques de l’agriculture pour conserver l’eau à travers les poquets de Zaï amélioré, les demi-lunes, etc. Désormais outillé, Issouf Biyen s’est aussi fait une famille. « Nous mangeons ensemble dans le même plat et c’est vraiment l’amour pour tous ici. On se partage les idées et des rencontres par commune ou inter-commune pour atteindre cet objectif de l’autosuffisance alimentaire au Burkina », dit-il et résolument déterminé à sortir le Burkina, voire de l’Afrique de l’insécurité alimentaire.

Loin des enfants, la pensée à la maison mais l’esprit à la formation
Des femmes enceintes, des femmes allaitantes, des femmes avec des enfants à bas âge (entre 1 à 3 ans). Elles ne sont pas en marge de la formation sur l’agriculture dans le cadre de l’initiative présidentielle.
Sadiata Zougmoré, 30 ans est mère de 4 enfants est de la commune de Bascouré dans la région du Centre-Est. « J’ai laissé mes enfants avec ma grande sœur pour venir participer à cette formation. J’ai beaucoup appris. Une fois de retour, je pourrai faire de la pépinière à la maison en attendant », dit-elle. Sadiata aide notamment ses autres sœurs à la formation en portant leur enfant au dos. « Y a des enfants qui pleurent beaucoup lors de la formation. Je les porte au dos afin que leur maman puisse se concentrer comme moi », dit-elle toute fière. Plus loin sur le site, deux jeunes dames s’amusent à jouer à la marelle. « C’est la pause, on se détend comme ça. Et quand les enfants nous regardent, ils sont aussi contents », lance Kadidiatou Koné, une jeune fille de 20 ans.

Au-delà de la formation, un cadre de rapprochement
Atrouken Dangouri, 37 ans, mère de 3 enfants vient de la commune de Tiébelé. Enseignante du privé, elle avoue avoir abandonné cette tâche pour se consacrer à la formation en agriculture dans le cadre de l’Initiative présidentielle. « J’était payé à 30 000F le mois alors que le travail demandé était plus. Lorsque j’ai vu l’annonce sur le recrutement de 2 000 jeunes, c’était une grande opportunité pour moi », dit-elle. Mais au-delà des compétences agricoles acquises, Atrouken s’est plus rapprochée d’une voisine qu’elle ne saluait presque pas lorsqu’elles étaient à Tiebelé. « Quand nous étions à Tiebélé, j’avais une voisine avec qui je ne causais pas. Mais Dieu a fait qu’on s’est retrouvé ici et nous sommes co-chambrière. A force de discuter ensemble, on a appris à se connaitre et cela a renforcé notre humanisme », raconte Atrouken qui apprécie fortement la cohésion sociale et la parenté à plaisanterie qui s’invitent toujours à la formation. « Il y a plein de bissas avec nous et nous les gourounsis, les taquinons tous les jours. A cause d’eux, on a semé des arachides », dit-elle amusante.

De la production agricole durable au Centre Rialé de Ziniaré
Au Centre Rialé d’intelligence agricole, près de Ziniaré, la formation sur la production agricole intensive a été un packaging. De la culture à la production, en passant par la transformation des produits en jus ou confiture, 87 apprenants ont suivi toutes les étapes. « Nous leur avons appris comment produire les cultures maraichères comme le gombo ou l’aile, les légumineuses comme le haricot ou le sorgho, la production fruitière, la fabrication des intrants naturels, le compost, les bio répulsives, la production des poussins, les fruits de nouni en jus, etc. », égrène Richard Moné, promoteur du Centre.

Pour promouvoir la cohésion sociale au sein des apprenants, trois petits groupes en ont été formés. « Nous avons fait de telle sorte que dans chaque groupe, il y ait des apprenants de différentes localités et cela a permis le brassage. Mais au début, c’était difficile. Il a fallu passer des messages de cohésion sociale, de résilience et de paix. Et nous en sommes fiers aujourd’hui », explique-t-il. Des femmes enceintes, des femmes allaitantes, des jeunes et adultes, tous de cultures différentes, mais, Richard Moné a réussi cet exploit en instaurant des activités ludiques et des challenges.
Inoussa Ouédraogo, l’homme qui orchestre tout
Inoussa Ouédraogo est le coordonnateur de l’initiative présidentielle pour la production agricole. Pas de repos pour le passionné de l’agriculture, par ailleurs président des faitières des associations agricoles. Entre plusieurs missions de suivi et contrôle, la satisfaction est palpable. « Nous sommes satisfait de la formation qui s’est déroulé en deux phases : théorie et pratique. 10 modules ont été identifié pour être administrés », dit-il. Pour davantage renforcer la collaboration communautaire et la cohésion sociale, poursuit-il, les apprenants seront constitués en coopérative. « Chaque coopérative aura ses espaces pour mettre en pratique ce qu’elle a apprise sur le terrain. L’objectif étant de booster la sécurité alimentaire au Burkina Faso », informe Inoussa Ouédraogo.
L’inactivité, une source de radicalisation
Le changement de paradigme engagé par le Chef de l’Etat Burkinabè entre en droit ligne de cette formation des jeunes sur l’entreprenariat agricole. Inoussa Ouédraogo est convaincu que pour aboutir à ce paradigme il faut se mettre ensemble et mener des projets communautaires. « L’esprit même de l’initiative présidentielle pour la production agricole est d’amener les jeunes à bâtir une forte communauté de vivre ensemble pour permettre l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Pendant 3 mois, ils ont pu mettre en exergue cette capacité de cohésion et nous leur tirons notre chapeau. Ils ont fait montre de résilience face à certaines situations qui se sont présentées à eux », commente-t-il.

En un mot comme en mille, cette initiative est un moyen de lutter contre la radicalisation et l’extrémisme violent selon plusieurs jeunes. Le coordinateur en est aussi convaincu car dit-il : « C’est l’inactivité et le manque d’orientation claire qui amènent les jeunes à s’enrôler. S’ils ont une activité stable, ils pourront lutter efficacement contre le terrorisme et donner un sens très profond à leur mission sur terre ».
Bassératou KINDO/MoussoNews