A 5h45, Odette Ouédraogo est déjà dans son bureau, prête à affronter une journée de travail. A 40 ans passés, elle est l’une des figures les plus emblématiques de l’assainissement urbain au Burkina. Vidangeuse mécanique depuis 2 décennies, elle, fait partie de femmes rares qui ont su s’imposer dans un métier rude, souvent ignoré et historiquement réservé aux hommes. Héritière d’une entreprise familiale fondée par l’un des tout premiers vidangeurs de la capitale burkinabè, elle en est aujourd’hui le visage et l’âme.

Odette Ouédraogo n’a pas choisi le métier de la vidange des fosses sceptiques au hasard. Elle a hérité l’entreprise de son père, l’un des tout premiers vidangeurs de la capitale.
« Il était presque le tout premier vidangeur de Ouaga », rappelle-t-elle en parlant de son père. Après son décès, Odette, qui travaillait alors dans un secrétariat public, décide de ne pas liquider l’entreprise. « Avant, quand le père décède, son entreprise est confiée à son frère ou sœur ou à la famille qui prend le relais. Mais me concernant je n’ai pas accepté que l’entreprise soit gérée par d’autres personnes. Donc j’ai pris le relais et quand les autres frères vont grandir, ils vont prendre le relais », confie-t-elle avec fermeté.
Odette n’a pas poussé très loin les bancs de l’école. Elle s’arrête en classe de 3e mais elle a su développer une expertise de terrain qui fait aujourd’hui d’elle une référence dans le secteur de l’assainissement.
Une pionnière dans un milieu stigmatisant
Entrer dans ce métier n’a pas été chose facile pour Odette. A cette époque, les regards sceptiques, les jugements moqueurs, les commentaires sexistes faisaient partie du quotidien de ses débuts. « En ce temps, ce n’était pas facile pour une femme de faire la vidange ; je ne voyais pas d’autres femmes dans ce domaine. À mes débuts, j’ai eu les 1000 problèmes. On me disait ‘’madame, vous croyez que le travail est facile’’ ; voilà ce sont les femmes de Thomas Sankara, révolutionnaire, elle ne va pas pouvoir, les hommes même n’ont pas pu, ce n’est pas une femme », se souvient-elle.
La pression sociale était telle qu’à chacune de ses interventions, les voisins accouraient, curieux de voir comment une femme allait s’y prendre pour un travail jugé trop dur. Mais au fil du temps, la ténacité d’Odette a payé. Son professionnalisme a gagné le respect des clients et parfois même… un pourboire.

De la vidange au plaidoyer pour l’environnement
Selon Odette, la vidange mécanique consiste à vider les fosses septiques en toute sécurité. Un travail indispensable pour la santé publique, souvent mal connu, mais crucial dans les zones urbaines. Formée par des institutions reconnues telles que le 2iE et l’ISTE, Odette est aujourd’hui experte en collecte, transport sécurisé et traitement des déchets. De 7 000 FCFA au début de sa carrière, les prestations se négocient aujourd’hui entre 60 000 et 70 000 FCFA, selon les demandes des clients.
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Une entreprise freinée par le manque de moyens
Malgré son expertise, Odette fait aujourd’hui face à des défis matériels importants. Son véhicule, une vieille Mercedes de plus de 30 ans, est souvent immobilisé à la mécanique. « Le véhicule me dépasse en âge. C’est très vieille Mercedes et les pièces dont il a besoin sont très rares, n’existent même plus. Donc quand j’aurai les moyens, je vais me procurer un nouvel engin », explique-t-elle.
Pourtant, chaque matin, à 5h45, elle est déjà à son bureau, prête à poursuivre sa mission.

« Rien n’est jeté » : la valorisation des déchets au cœur de son engagement
Odette milite aussi pour la transformation intelligente des déchets issus des vidanges. Elle travaille avec des stations spécialisées où les boues sont traitées pour être transformées. « Rien n’est jeté. Tous se transforme en compost, en eau de refroidissement pour les véhicules, en énergie, du charbon, des pavés, des gaz. Rien n’est jeté, après traitement, on utilise les déchets avec d’autres mélanges si on valorise les boues de vidanges », explique-t-elle.
Son engagement et son expertise l’ont menée bien au-delà des frontières du Burkina Faso. Odette a représenté son pays dans plus d’une dizaine de pays africains : Ouganda, Namibie, Kenya, Afrique du Sud, Sénégal, Côte d’Ivoire, entre autres. « Ça surprend les gens quand ils me voient à l’extérieur, ils me demandent ce que c’est et je réponds que je suis partie en conférence de caca », raconte-t-elle en riant.
Elle est titulaire de nombreuses attestations de mérite et a occupé des postes importants dans le secteur : présidente de l’Association des vidangeurs du Faso (AVIF), représentante de l’AFAAB au Burkina Faso.
Kafando Abdoul Aziz, un de ses proches témoigne. « Je l’ai connu depuis que je suis petit. C’est une femme entreprenante qui évolue dans le secteur de l’assainissement et soudure mécanique. Elle fait beaucoup de voyages et formations, mais toujours au four et au moulin, et sur le terrain. Elle l’a embrassé pour que ce secteur ne disparaisse pas sans le nom des pionniers. Odette est une battante, et s’il y a les vidanges au Burkina, elle a une part de touche. Elle s’est battue pour les causes des vidangeurs au Burkina », a-t-il indiqué avec admiration.
La transmission comme priorité
Consciente que l’heure de la retraite approche, Odette pense à la relève. « Nous partons vers la retraite et nous devons chercher des remplaçantes. Actuellement même beaucoup veulent que je les forme mais le manque de matériel », regrette-t-elle.
Elle invite également les jeunes femmes à s’approprier ce métier et envoie un message fort à la jeunesse. « J’invite les filles ou femmes à éviter de prendre les WC pour des tombes. Il y a des filles qui avortent et jettent les fœtus dans les WC. C’est décourageant. Nous ne comprenons pas où va la jeunesse. Ce n’est pas obligé de prendre une grossesse, tu peux te protéger. Si tu prends, il faut accoucher, sinon les WC ne sont pas des dépotoirs de grossesse », dit-elle.
Aux locataires, elle lance aussi un appel à la responsabilité : éviter de jeter de l’huile de moteur ou des ordures dans les fosses avant un déménagement.

Une femme aux multiples talents
Au-delà de la vidange, Odette s’illustre aussi dans la soudure et les activités éducatives. Elle fabrique des jeux pour enfants (balançoires, manèges, toboggans, chevaux, dominos de couleurs…), conçoit des kits d’anniversaire et propose des animations pédagogiques. « Au lieu que les enfants viennent s’amuser, couper et manger les gâteaux, nous leur proposons des activités ludiques à travers des jeux pédagogiques. Ils vont d’abord jouer pour réveiller leurs consciences au lieu qu’ils viennent s’amuser », explique-t-elle.

Oumou Koné, amie d’enfance d’Odette, salue son professionnalisme et son parcours exemplaire dans le domaine de l’assainissement, malgré la stigmatisation. Elle souligne l’estime que lui portent les gens et lance un appel aux bonnes volontés pour l’aider à acquérir un nouveau camion, l’actuel étant trop vieux, afin qu’Odette puisse poursuivre ses activités et former d’autres femmes ainsi que des personnes déplacées internes.
Annick HIEN/MoussoNews