À Ouagadougou, dans les quartiers de Bassinko ou sur les sites de logements sociaux, son nom est désormais bien connu. Hélène Natacha Koné a conquis 2 domaines historiquement masculins : la soudure et la maçonnerie. Mère de famille, autodidacte, artisan-préfabricant de l’ONEA, entrepreneure et inventrice, elle défie les stéréotypes et forme aujourd’hui d’autres femmes, notamment déplacées internes, pour briser les chaînes de la dépendance économique.

L’histoire de Hélène Natacha Ouédraogo/Koné commence presque par hasard. Elle est soudeuse depuis 15 ans et maçonne depuis 18 ans.
Après avoir quitté les bancs scolaires en classe de 5e, elle se lance dans des petites activités comme réceptionniste au ministère en charge des Finances.
A l’époque, son mari construisait leur maison et faute de main-d’œuvre fiable, il l’a chargée de suivre le chantier. Sans formation technique préalable, elle observe, apprend, intervient, dirige… Jusqu’à mener à bien l’ensemble des travaux. « Les gens me disaient : “Madame, tu as été formée quelque part ?” Je répondais : Non. Je regarde, et quand je vois que ça ne va pas, je le dis », se rappelle-t-elle.
Encouragée par ces retours, Hélène commence à proposer ses services, appareil photo en main pour documenter ses réalisations. Malgré la réticence de son mari au départ, elle poursuit en cachette, quitte à jongler entre ses tâches domestiques et ses chantiers à Bassinko. Elle quittait son domicile situé à Belle ville pour Bassinko, un détour qu’elle faisait 3 à 4 fois dans la journée.
Quand il finit par découvrir la vérité, il est surpris, mais touché par la détermination de sa femme. Il l’accompagne alors, lui offre un atelier, installe l’électricité et l’équipe pour qu’elle puisse exercer la soudure en toute autonomie. Et depuis 15 ans environs, Hélène est dans la soudure.

Un atelier structuré et une approche inclusive
Aujourd’hui, l’entreprise de soudure de Natacha est divisée en 3 équipes distinctes : Une équipe pour la fabrication de mobilier bureautique (armoires, chaises, bureaux), une autre pour les ouvrants métalliques (portes, fenêtres) et une dernière pour les charpentes métalliques.

La majorité de ses ouvriers sont contractuels, mobilisés au gré des marchés. Ce choix de fonctionnement évite les charges fixes tout en favorisant la flexibilité. Et comme le souligne Ouédraogo Amsetou, sa secrétaire : « Quand ça chauffe, tout le monde fait tout. Même moi, je passe à la peinture quand il faut », a-t-elle reconnu en continuant de faire une peinture sur des fenêtres.
Des chaises percées à la soudure sociale
Loin de s’arrêter à la simple exécution de commandes, Natacha innove en cette année 2025. Elle crée une chaise percée adaptée aux personnes âgées ou à mobilité réduite, dotée d’accoudoirs et d’un confort inédit pour ce type de matériel. « Ces personnes peuvent facilement faire leurs scelles au lieu de porter constamment des couches. Grace à cette chaise, elles s’asseyent confortablement pour leurs besoins », a-t-elle expliqué.
Un modèle a même été conçu en version pliable et bientôt roulante, permettant à l’utilisateur d’aller vider lui-même le contenant sans assistance. « Toute la salle était émue. Ils ne s’attendaient pas à cette surprise. Ils étaient très contents », se souvient-elle avec fierté, après une présentation publique à 2IE. Depuis, des ONG et des particuliers l’ont contactée pour commander ces modèles pratiques, utiles et socialement engagés.

Maçonne sur les gros œuvres, mais pas que…
Hélène Natacha Ouédraogo/Koné a aussi marqué les esprits dans le secteur du BTP. Lors d’un projet de logements sociaux à Bassinko, elle était la seule femme parmi une dizaine de tâcherons. Elle était aussi beaucoup appréciée sur ce site de construction où en tant que tâcheronne, elle a appris la maçonnerie il y’a 18 ans. Une expérience qui s’est soldée par des pénalités financières dues à des retards imputables à l’ensemble du groupe. « Moi, on m’a coupé plus de 700 000 F CFA alors que j’espérais un bénéfice. Beaucoup ont abandonné. Moi, j’ai continué », se remémore-t-elle.

Aujourd’hui, elle se concentre sur les travaux de finition : carrelage, peinture, plafonds, etc., laissant les gros œuvres à d’autres.
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Hélène, aussi une artisane-préfabriquante de l’ONEA
L’un des tournants majeurs dans la trajectoire professionnelle de Natacha est sa formation et collaboration avec l’Office National de l’Eau et de l’Assainissement (ONEA). Lorsqu’elle travaillait sr les sites de Bassinko, elle avait un groupe d’ami maçons qui étaient en collaboration avec l’ONEA. C’est ainsi qu’en 2018, elle décide de tenter sa chance pour être artisan ou préfabriquant de l’ONEA. En effet, cette formation est lancée chaque année par l’ONEA, des cabinets ou bureaux se chargent de recruter les entrepreneurs pour que l’ONEA les forme pendant 3 semaines par la suite.

C’est grâce à ce partenariat qu’elle s’est formalisée en 2013, afin d’avoir un Registre de Commerce et de Crédit Mobilier (RCCM), condition sine qua non pour obtenir des marchés publics ou institutionnels.
Préfabriquante de dalles pour latrines, elle fait désormais partie d’un réseau structuré. « Être artisan-maçon ou artisan-préfabriquant de l’ONEA, ce n’est pas seulement construire. On nous apprend à faire des constructions, faire des dalles, la maçonnerie et on nous apprend les normes d’hygiène, de sécurité, l’impact environnemental, comment éviter que la fosse contamine les nappes phréatiques. », indique-t-elle.
Ce cadre lui permet d’être orientée vers des ménages pour des projets de latrines, souvent avec des prix accessibles. Mais la difficulté reste la précarité des bénéficiaires, qui sollicitent souvent des aides pour les matériaux, le transport ou la fouille. « Tu proposes un devis à 60 000 F CFA, on te dit que c’est cher. Alors que ça comprend tout. Souvent, je compense avec mes propres fonds », affirme t-elle calmement.

Zoungrana Bouriema, son collaborateur maçon depuis 5 ans, souhaite la reprise des activités de ce programme de formation. « L’ONEA devrait reprendre le programme, car c’est souvent difficile d’avoir des marchés. Mais c’est une belle opportunité pour nous », a-t-il lancé.
Une femme, une équipe, une mission sociale

Le parcours de Hélène Natacha Ouédraogo/Koné est aussi nourri de solidarité et de respect mutuel. Ses collaborateurs, comme Désir Sebogo tapissier depuis 7 ans avec elle ou Deme Abdoul Bachir, témoignent d’une collaboration fluide et équitable. « Elle ne m’a jamais maltraité. Je prie Dieu qu’elle ait toujours des marchés pour que nous puissions travailler tous les jours », a témoigné Désir Sebogo.

Elle ambitionne aujourd’hui de former des femmes déplacées internes et jeunes filles, avec l’appui d’organismes comme l’UNICEF, l’ONEA, le ministère en charge de l’Action Humanitaire ou la Commune de Ouagadougou. « Mon objectif, c’est de lutter contre la stigmatisation du travail des femmes. Qu’elles sachent fabriquer des dalles, des briques, voire souder si elles le souhaitent », souhaite-t-elle.
Hélène Natacha Ouédraogo/Koné est bien plus qu’une soudeuse ou une maçonne. Elle est un symbole vivant de résilience, de persévérance et de leadership féminin dans un domaine où peu de femmes osent s’aventurer. À toutes les jeunes filles, elle adresse ce message: « Tu veux apprendre un métier ? Ne regarde pas les moqueries, ni les regards. Si tu veux vraiment, tu réussiras. Garde ton objectif, ne t’en écarte pas », a-t-elle lancé.
Annick HIEN/MoussoNews