Entreprise de presse : «  Il n’y a pas de modèle économique type », Israël Guébo, fondateur de l’Institut des médias d’Abidjan

Israël Guebo est un homme de média averti. Fondateur de l’Institut africain des médias d’Abidjan ( IAM) en partenariat avec l’Ecole supérieure de journalisme de Lille ( ESJ), Israël est depuis une dizaine d’année dans la formation de jeunes journalistes. Dans cette interview qu’il a accordé à www.moussonews.com, il parle de modèle économique des médias, du phénomène d’influenceurs, d’impacteurs positifs, et invite les femmes à occuper le numérique.

MN: Des médias se numérisent de plus en plus. Quel peut être le bon modèle économique pour ces supports qui généralement font la même chose ? Par exemple au Burkina on a près d’une cinquantaine de média qui font dans l’actualité au quotidien.

IG : Il n’y a pas de modèle économique type pour les médias. Chaque média, chaque entreprise de presse doit trouver la bonne audience, la bonne niche et le modèle qui est adapté à cette niche. Malheureusement, aujourd’hui faire de la presse numérique est devenue un effet de mode. Tout le monde veut avoir un site internet, produire du contenu, faire de l’information généraliste ou généralisée. Mais finalement ça ne répond à aucune cible, et donc tout le monde stagne. C’est à peine si des gens font 10, 20 ou 30 visites par jour.

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Les patrons de presse, avant de lancer un site doivent avoir une démarche d’entrepreneur. Ça veut dire faire une étude de marchés, connaître sa cible, tester des choses pour voir qu’est ce qui est adapté, et faire du Benschmark .

Se poser des questions comme : Quelles sont les concurrences sur le marché ? Qu’est ce qu’ils ont déjà fait qui marche ou qui ne marche pas avant de se lancer ?.

Ce n’est pas après avoir fini de se lancer sur internet qu’on va se poser des questions. Il y a cette démarche entrepreneuriale avant et puis souvent on n’oublie qu’il y a des populations qui sont dans le monde rurale qui ont besoin d’avoir de l’information.

Tout n’est pas uniquement en ville. On peut faire de l’information en langue locale pour les populations qui sont dans les zones reculées. On peux faire de l’information orientée purement sur l’économie. On peux faire un site d’information ancré sur l’éducation, sur la femme.

Il y a des niches qui sont là, mais il faut faire une étude de marché avant de se lancer. Il n’y a de modèle économie type. Ce qui marche en France ne va pas forcément marcher dans des pays africains.

Mediapart a fait un modèle économique qui fonctionne mais je ne suis pas très sûr que les abonnements dans nos pays puissent fonctionner également.

MN : Vous dites qu’on peut essayer de dénicher ou aller vers des thématiques comme l’éducation, le monde rural ou la femme. Mais il n’y a pas parfois la matière à traiter dans ces domaines spécifiques.

Il y a de la matière à traiter, il faut juste chercher. C’est pour ça qu’il faut prendre le temps de faire de la recherche. Ce n’est pas lorsque tu es sur ton site internet que tu vas commencer à te dire, est ce que y a de la matière.

Non, tout ça doit être étudié en amont. Il y a des questions également à se poser à ce niveau. Quand il s’agit d’un site sur l’agriculture, est-ce que j’aurai suffisamment de contenu pour tenir pendant 10 ans ? Comment est-ce que je vais aborder les thématiques ? Est-ce que je vais les faire en photo, en texte, en infographie, en vidéo, en podcast. Une fois que l’on s’est posé ces questions, une fois qu’on a trouvé la niche, une fois qu’on a trouvé le contenu, on peut donc se lancer.

MN: Mais de façon globale quel est l’avenir du numérique surtout dans les pays francophones quand on sait que parfois on est souvent en retard sur certaines révolutions ?

Au contraire on n’est pas en retard. C’est vrai qu’on découvre par moment des applications, des outils tardivement, mais sur les usages, sur la pratique de ces nouveaux médias on n’est pas du tout en retard. Par exemple dans un village en Côte d’Ivoire, je connais une dame qui ne parle ni le français, qui ne sait ni lire, ni écrire, mais qui vends ses produits, son huile rouge à partir de WhatsApp.

Ses enfants ont créé un groupe pour elle, et elle fait ses notes vocales pour dire qu’il y a de l’huile et les gens passent leurs commandes en répondant par note vocale. Elle va même les déposer à la gare.

Ce qu’on appelle retard en Afrique sont pour nous, des occasions d’avoir de l’innovation et d’aller beaucoup plus vite. Les paiements mobiles dans les pays Européens n’existent presque pas. En Afrique cela à du succès. Est-ce qu’on peut dire qu’on est en retard par rapport à ça, non.

Au contraire puisqu’on n’a pas pu régler les problèmes avec les cartes visas, on a créé des systèmes qui nous permet d’aller beaucoup plus vite. Donc on n’est pas en retard.

MN: On  peut donc faire de l’alphabétisation numérique ?

Mais bien sûr, les analphabètes du numériques sont aussi bien dans les hautes sphères que dans les villages. On peut donc faire une alphabétisation numérique en éduquant et en formant tout le monde.

Moi par exemple en Côte d’Ivoire je fais vraiment de la formation de masse qui touche tout le monde, y compris les journalistes. Je peux te dire qu’il y a des journalistes qui sont de gros analphabètes numériques qui ne savent pas faire une recherche Google ou comment vérifier une photo. Ils ne savent pas télécharger une photo. Ils ne connaissent pas les principes de COPYRIGHT, de copyleft.

MN: Vous parlez de la nouvelle génération ?

Oui je parle de la nouvelle génération. Pourquoi ? Parce que cette nouvelle génération à découvert internet avec les réseaux sociaux et pour eux internet est égale aux réseaux sociaux. Nous, nous de la génération des cybers café avons connu les navigateurs, les moteurs de recherches.

Cette nouvelle génération a découvert internet avec smartphone et les applications, etc. Ils peuvent être parfois de très bons rédacteurs mais qui sont des analphabètes au niveau du numérique.

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MN: On a de plus en plus de nouveaux profils qui naissent avec justement les influences sur des réseaux sociaux. On a les influenceurs, les impacteurs positifs, etc. Est-ce que ce sont des titres péjoratifs ?

Alors, sur les influenceurs il faut bien savoir que c’est un terme qui est emprunté au marketing. C’est-à-dire que des entreprises vont s’adresser à des personnes qui sont suivies par des communautés. Ces personnes vont tester leurs produits et faire un retour pour inciter à l’achat. C’est ça les influenceurs à la base.

Et puis est arrivé une nouvelle vague des gens qui sont pour moi des buzzeurs et pas d’autres choses. Donc des gens font du buzz, du bruit sur les réseaux sociaux et qui suscitent une communauté qui les accompagnent et qui se sont auto-proclamés influenceurs.

D’un côté il y a les soi-disant influenceurs  et puis on a les impacteurs. Ce sont des gens qui n’ont peut-être pas une grosse communauté, mais qui font des actions qui impactent la communauté. Voilà le monde dans lequel on est aujourd’hui. D’un côté il y a les soi-disant influenceurs et puis on as les impacteurs.

 

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                                           Israël Guébo est aussi le fondateur de le fondation ”Y croire”

MN: Mais qu’est qu’on peut faire pour amener ces buzzeurs appelés abusivement influenceurs à au moins se former et à aller peut-être dans la production de contenus de qualité ?

Ils n’ont pas envie de produire des contenus de qualité. Les marques les suivent et les poursuivent à la limite. Les marques les sponsorisent, Facebook les payent. Il y a des gens qui sont rémunérés par Facebook par le nombre de vues de vidéo. Ils disent tout et n’importe quoi parce qu’ils savent qu’ils seront rémunérés. Ce qu’il faut faire, c’est d’éduquer les masses, ceux qui vont les suivre.

Ce qu’on peut faire c’est de faire la formation, mais ce n’est pas ça qui va baisser les choses. Par contre c’est là où l’État doit pouvoir jouer sa part, il faut qu’il y ait une vraie politique d’éducation aux médias sociaux.

Déjà il y a l’information, il faut que cela soit intégré dans les écoles, depuis la maternelle jusque dans les universités. Il faut qu’il y ait un vrai programme, une vraie politique qui va prendre cela en compte et qui va former, informer et sensibiliser les gens. A ce prix là on pourra inverser la tendance et faire baisser les fakes news, les effets néfastes de ces influenceurs là.

Impacteurs positifs 

MN: A partir de quand on peut s’estimer influenceurs ou impacteurs ?

Influenceurs je ne sais pas. Je pense qu’il y a des influenceurs connectés et non connectés. Didier Drogba est un influenceur parce qu’il y a des gens qui l’aiment, il a une communauté. Moi c’est un terme que je n’aime pas, je ne me proclamerai pas influenceur. Moi je me considère comme un impacteur. Et là je peux te répondre.

Je me considère comme un impacteur quand par exemple, une jeune sage-femme est interdite par le Ministère de la santé de blogguer ou de faire ses capsules vidéo et que je fais un poste et que des milliers de personnes le repartagent et que le lendemain le Ministère la convoque pour s’excuser. Ça, c’est avoir de l’impact. C’est avoir de l’impact quand on demande à des personnes de nous faire des dons de livres et à travers le monde on arrive à récolter près de 2000 livres, ça c’est de l’impact.

Quand par exemple je veux former 50 femmes à l’alphabétisation et que je demande à travers le monde de les parrainer et que les gens le font, ça c’est de l’impact. A partir de ce moment-là, oui on est un impacteur.

Mais là, ça aussi, c’est parce que c’est vous Israël Guébo, assez connu dans l’environnement numérique. Est-ce que quelqu’un peut sortir du néant pour être impacteur ?

Ah non ! Ça se construit on ne sort pas comme ça pour être un impacteur. Ça se bâtit, et cela sur des valeurs. Les gens doivent reconnaître en ton travail, le sérieux, l’intégrité, etc. Quand tu vas donner un mot d’ordre, quand tu vas dire aider moi à faire ça ils vont te suivre.

MN: Dans le dernier rapport de ‘’we are sociale’’ il est dit que les femmes interagissent le plus sur les réseaux sociaux alors qu’on sait qu’elles sont les moins connectés. Qu’est ce qui peut expliquer cela ?

Les moins connectés, je ne sais pas. Je n’ai pas lu le rapport je ne vais pas m’avancer dessus. Mais de mon expérience les femmes sont les plus habiles avec tout ce qui est numérique, technologie. Elles sont très habiles parce que je pense que c’est dans les détails. Ce qui pourrait expliquer ça ?

En Côte d’Ivoire on dit que les femmes sont des « afférés », elles aiment bien discuter, elles aiment bien parler et donc tout ça fait que dans les interactions on va les retrouvés. Mais après je ne sais pas, je n’ai pas d’éléments scientifiques mesurables pour dire voilà pourquoi les femmes sont celles qui interagissent le plus.

Femmes et accès à internet 

MN: Qu’est ce qu’on peut faire pour permettre un accès libre et légal au numérique au profit des femmes. C’est vrai on dit qu’elles sont connectées, elles interagissent le plus mais on sait que aussi c’est certainement dans les centres urbains ou il y a l’accès à la connexion, alors que les femmes ce n’est pas uniquement citadine.

De toute façon dans le monde rural les femmes et les hommes sont déjà à la même enseigne au niveau numérique. S’il n’y a pas d’internet pour les hommes, il n’y a pas d’internet pour les femmes. Maintenant dans les villes je pense que c’est plutôt aux femmes qu’il faut parler. Il faut qu’elles arrêtent de se cacher, de rester en retrait.

C’est vrai que nous sommes dans une société très patriarcat qui va mettre en avant les hommes. Moi quand je fais les formations, on demande aux femmes de venir, elles ne viennent pas, elles ont peur parce qu’elles ne veulent pas prendre la parole, elles sont timides dans leur coin. Elles doivent sortir, s’affirmer, s’afficher, prendre le devant des choses parce que quand les femmes sont dans le numérique ce sont des génies.

Je prends Charlette Désirée et cette dame qui fait de l’Intelligence artificielle.. Les femmes sont des talents dans le numérique, mais il faut qu’elles sortent. Il faut que davantage on ait plus de femmes scientifiques dans les matières technologiques, tout ce qui est de l’informatique. Il faut qu’elles aillent jusqu’au bout et ça il faut que celles qui sont les devancières puissent également tirer les autres vers elles. On ne les connaît pas. Or si elles s’affichent de plus en plus d’autres filles vont les prendre en modèles et s’intéresser à cela.

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C’est vrai que les femmes sont les plus vulnérables en matière de cyber harcèlement. Elles sont malheureusement les plus naïves également. ”Mets toi nu je vais prendre une photo de toi, elles vont le faire par amour et c’est là où justement on doit continuer à faire de la sensibilisation et parler. Dire aux femmes que pour rien au monde vous ne devez vous mettre nues, pour rien au monde vous ne devez donner votre photo. Il y a un vrai travail de sensibilisation à faire.

Ne jamais envoyer ses photos de nudités sur internet 

Mais ce travail ne doit pas être fait par les hommes. Il doit être fait par les femmes parce qu’elles seront le plus à l’aise d’interagir avec les femmes. Parce que, si moi je viens je dis, les femmes écouter ceci cela; il peut y avoir ce blocage déjà ; dans nos sociétés les femmes vouent un certain respect à l’homme, dans nos sociétés et nos religions également. Elles ne peuvent pas prendre la parole.

Les femmes, vous, vous devez également prendre la parole et votre bâton de pèlerin pour faire la formation des femmes, et c’est à ce prix que les choses vont changer. Vous ne pouvez y arriver toute seule. Il faut également qu’il y ait un accompagnement de l’Etat et des organisations internationales pour vraiment accélérer le processus.

Interview réalisée par Bassératou KINDO

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