Maïmouna Déné: La voix des invisibles

Elle a 46 ans, mère de 4 enfants. D’un regard calme mais ferme, elle parle posément, avec cette rigueur de ceux dont la vie a forgé la détermination. Maïmouna Déné, présidente fondatrice de l’Association des femmes albinos du Burkina (AFAB), est une femme de combats, de douleurs tues, de victoires silencieuses. Elle aime les voyages, les découvertes, la musique, le cinéma, surtout les films d’action.

Le parcours scolaire de Maimouna Déné s’arrête au BEPC. Elle abandonne les bancs, mais pas ses ambitions. Consciente très tôt des discriminations que vivent les personnes atteintes d’albinisme, elle décide d’agir.

Mais, faire naître une organisation là où la peur et la honte règnent n’est pas chose aisée. « J’ai rencontré individuellement des personnes à qui j’ai parlé de la création de l’association. Mais le jour de l’assemblée générale, il n’y avait personne », se souvient-elle. Elle ne se décourage pas. Elle rédige les statuts et règlements, retourne voir chaque personne, leur présente sa vision. C’est ainsi que 5 personnes acceptent de se joindre à elle pour poser la première pierre de l’Association des femmes albinos du Burkina (AFAB).

Aujourd’hui, l’association compte plus de 300 membres albinos à travers le pays. Une victoire, un socle. Mais surtout, une famille.

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Maimouna Déné et des membres de AFAB.

Une vie à franchir les murs de l’isolement

Maïmouna Déné n’a pas eu une enfance tranquille. Comme beaucoup de personnes atteintes d’albinisme, elle grandit dans le rejet, l’hostilité, l’exclusion. « Je préférais rester dans mon coin pour ne pas prendre le risque d’être rejetée ou maltraitée. De la classe, je vais directement à la maison », confie-t-elle. À chaque étape de sa vie (enfance, adolescence, âge adulte), les blessures se répètent : maltraitance, harcèlement, solitude. Mais au lieu de s’y résigner, elle en fait le moteur d’un engagement.

Une association pour exister pleinement

L’AFAB œuvre pour l’épanouissement et le bien-être des personnes albinos. Elle mène des actions de sensibilisation, soutient l’insertion socio-professionnelle des jeunes, accompagne les femmes victimes de violences. L’association est résolument ancrée sur les réalités féminines. « Tout commence par la femme. Elle arrive à l’hôpital avec un enfant tout blanc dont elle ignore les raisons, surtout si elle a déjà eu des enfants noirs. On va la harceler pour qu’elle explique pourquoi cette fois-ci l’enfant est blanc », indique-t-elle en précisant que l’AFAB œuvre pour l’inclusion de toutes les personnes atteintes d’albinisme.

AFAB bénéficie entre autres de soutiens ponctuels, notamment de la Fondation Slamazone portée par l’artiste Malika la Slameuse, ou encore de Karim Igo, parrain d’honneur de l’organisation. Mais ces aides ne suffisent pas. Le manque de moyens freine la mise en œuvre de projets comme l’autonomisation professionnelle ou les campagnes de sensibilisation dans les zones reculées.

Également Bénéficiaire d’un espace à la ceinture verte de Ouagadougou, Maimouna et ses membres souhaitent y mettre sous terre des plantes médicinales pour contribuer aux soins des personnes albinos et autonomiser des femmes. De ce fait, l’association lance un appel pour la construction d’une clôture et d’un forage, afin de sécuriser et de faire vivre ce projet. « L’albinisme est couteux, il faut des crèmes solaires, des chapeaux pour couvrir la tête… Ce qui tue le plus les personnes albinos, ce sont les problèmes cutanés », rappelle la présidente. Elle plaide qu’il y’ait une loi spécifique pour les albinos et la sanction des crimes rituels liés à l’albinisme. Aussi, une démarche est faite au sein du ministère de la Santé pour que l’albinisme soit reconnu comme un problème de santé publique.

Les membres témoignent : une mère pour tous

Depuis sa création, l’AFAB a formé environ 400 personnes dans 4 régions du pays. Une dynamique que Maïmouna espère renforcer. Elle voit dans 5 ans une jeunesse albinos debout, active, respectée. Et elle s’y emploie déjà à travers ses nombreuses casquettes, y compris celle de promotrice d’un secrétariat public, aujourd’hui géré par son fils aîné.

Les témoignages des membres de l’AFAB révèlent l’impact silencieux mais profond de l’action de Maïmouna dont ils qualifient tous de battante, déterminée, gentille, aimable, etc.

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Alizéta Ouédraogo et sa fillette albinos.

Alizéta Ouédraogo, mère d’une fillette albinos de 3 ans, a rejoint l’association depuis sept mois. « Je faisais du commerce. J’ignorais la technique ou les consignes de protection pour ma fille. Donc, souvent, quand je sortais avec elle, les gens se plaignaient. Mais à présent, ça va beaucoup. Je ne savais pas comment faire, mais maintenant tout va bien », témoigne-t-elle.

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Diasso Raicha, albinos et enseignante depuis 7 ans.

Diasso Raicha, enseignante depuis 7 ans, a toujours été acceptée par son entourage. Grâce à un ami, elle rencontre Maïmouna. Elle lui souhaite une longue vie. 

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Fatimata Nikiéma fait du perlage grâce à AFAB.

Fatimata Nikiéma, ancienne élève arrêtée en classe de seconde, vit aujourd’hui du perlage. Victime de stigmatisation par ses professeurs, elle se souvient : « Tu ne vois pas, pourquoi tu es venue t’inscrire ici ? Fallait aller chez les malvoyants… » Pour elle, Maïmouna est comme une mère.

Lire aussi: Dialogue des femmes africaines : Maïmouna Déné interpelle sur la promotion des valeurs endogènes – Mousso News

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Mamzou Bara est membre de AFAB depuis 2018.

Mamzou Bara, membre depuis 2018, confie : « Avant d’intégrer l’association, je pensais que j’étais le seul albinos au monde. Mais grâce à AFAB, je me sens en famille et moins seul. La présidente est dynamique. Elle nous a montré nos valeurs. « Sinon, d’autres personnes ne croyaient pas que nous étions des êtres humains, même en famille ce n’était pas facile », a-t-il témoigné.

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Maïmouna Déné, présidente de AFAB, promotrice d’un service de secrétariat public...

Maimouna Déné n’est pas seulement une présidente pour ses membres. Pour eux, elle est le refuge d’un combat trop longtemps ignoré, la voix des invisibles.

Pour les jeunes filles, la présidente conseille : « Travailler pour ne pas se laisser juger », « De nos jours, les hommes sont plus matérialistes que les femmes », constate Maïmouna. Et de renchérir : « Si nous voulons être inclus, considérés, il faut qu’on apporte quelque chose. Nous sommes déjà jugés à cause de notre albinisme, ne donnons pas une autre raison à la société de nous condamner encore ».

Annick HIEN/MoussoNews

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