« J’étais dans toutes les marches et les grèves de 2009 jusqu’en 2014, quatre mois avant le soulèvement populaire. À un moment, on décide d’aller voir ailleurs », témoigne Gildas Ragnagnéwendé Tapsoba, burkinabè vivant au Canada depuis une dizaine d’année. Il évolue dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la décarbonisation des sources d’énergie. Également entrepreneur, Gildas a dû immigrer dans ce pays à cause des évènements sociopolitiques et sécuritaires dont les conséquences sont visibles aujourd’hui.
- Présentez-vous à nos lecteurs
Je suis Gildas Ragnagnéwendé Tapsoba. Je suis Burkinabé de naissance et Canadien d’adoption.
- Depuis quand êtes-vous au Canada ?
Je suis au Canada depuis un peu plus de 10 ans
- Qu’est-ce qui vous a amené au Canada ?
Le projet Canada était un plan C, qui est devenu un plan B, puis un plan A au fur et à mesure que le Burkina Faso s’enfonçait dans une direction dont nous subissons les conséquences aujourd’hui. J’étais de toutes les marches et de toutes les grèves de 2009 jusqu’en 2014, quatre mois avant le soulèvement populaire. À un moment on décide d’aller voir ailleurs.
- Êtes-vous passé par d’autres pays avant de poser la valise au Québec ?
Non. Je suis arrivé au Canada avec le statut de résident permanent.
- Chercheur et entrepreneur, quel est votre parcours professionnel ?
Dans mes expériences passées, j’ai commencé à travailler comme chercheur au Burkina Faso en 2009. Durant ces années, le défi était de donner l’électricité aux populations rurales et à moindre coût. Depuis plus de dix ans, je suis installé au Québec, où j’ai eu l’occasion de travailler et aussi parfaire mes compétences en recherche notamment avec le Centre TERRE (Technologie des Énergies Renouvelables et Rendement Énergétique) du Cegep de Jonquière, le laboratoire GREPCI ( Groupe de Recherche en Électronique de Puissance et Commande Industrielle ) de l’École de Technologie Supérieure (ÉTS) et la chaire ViAHT (Vieillissement de l’Appareillage rempli d’huile installé sur les lignes à Haute Tension ) de l’Université de Québec à Chicoutimi (UQAC).

Parallèlement, je n’ai jamais coupé le pont avec le Burkina Faso et l’Afrique. J’y interviens comme consultant, seul ou avec des partenaires pour des projets d’énergie renouvelables et d’efficacité énergétique. Les dernières en date étaient en Côte d’Ivoire pour l’alimentation en énergie photovoltaïque de 1300ha de périmètre rizicoles et maraîchers avec un Bureau-conseil sur place et au Sénégal avec Le Fond Solidarité Sud dans le cadre d’un projet d’Économie solidaire et circulaire. Il y’a eu aussi la Tunisie pour des projets d’énergies solaires en lien avec la culture du dattier.
- Pourquoi le choix de l’Énergie Electrique ?
J’ai toujours voulu avoir un impact en mettant mes compétences aux services des communautés, des populations. Dans un contexte africain, la question de l’énergie est cruciale, car elle va de pair avec le développement. Pas d’énergie, pas de développement. C’est cette raison qui a guidé mon choix pour faire des études en génie électrique.
- Vous êtes aussi dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la décarbonisation des sources d’énergie, il s’agit de quoi exactement ?
Depuis quelques années nous constatons les effets néfastes du changement climatique. La décarbonation des sources d’énergie est un processus qui vise la réduction des émissions de gaz à effet de serre et notamment du dioxyde de carbone (CO2), l’un des principaux responsables du réchauffement climatique provenant de l’utilisation de combustibles fossiles tels que le charbon, le pétrole et le gaz naturel. La décarbonisation implique donc une transition vers les énergies renouvelables (solaire, éolienne, biomasse, etc.) et l’amélioration de l’efficacité énergétique.
- L’Énergie gouverne le monde, est-on tenté de le dire, quel est votre commentaire là-dessus ?
C’est une réalité, quelle que soit la forme de l’énergie. J’en veux pour preuve la révolution industrielle qui a commencé au 18e siècle. Vous constaterez que les autorités actuelles du Burkina Faso cherchent par tous les moyens possibles et acceptables à accélérer l’accès à l’énergie pour les populations et surtout pour l’industrialisation du pays. C’est un fait, l’Énergie comme condition sine qanun au développement et/ou à l’expansion gouverne le monde.
- Au Canada, pour quelle structure travaillez-vous ?
Je travaille au Cegep de Jonquière situé dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. L’établissement compte 27 programmes. Le Cegep est un modèle unique au Québec qui dispense des programmes généraux, professionnels, académiques ou une combinaison. Le tableau ci-dessus vous donne une idée comparative des études au Québec :

Sources : https://quebecvilleetudes.ca/comprendre-les-niveaux-detudes-au-quebec/
- Chercheur et Entrepreneur, comment arrivez-vous à concilier les deux ?
C’est beaucoup de travail, des semaines qui frôlent les 80 heures par moment, auquel il faut ajouter la vie de famille et les engagements à la communauté (bénévolat). Cependant c’est la motivation qui nous conduit. Le défi est de pouvoir freiner quand notre corps nous envoie des signaux. Heureusement qu’il y’a des périodes de vacances pour nous obliger un temps d’arrêt.
- Au Canada, depuis une dizaine d’années, comment s’est faite l’intégration ?
L’intégration s’est faite progressivement, mon premier réseau s’est fait dans mon milieu académique universitaire et l’intégration à la société, s’est fait par le bénévolat. Le bénévolat est valorisé par la société québécoise et il te permet de tisser des relations et de rencontrer des personnes que tu n’aurais jamais pu rencontrer si tu devais passer par son lieu de travail.
- Y’a-t-il eu des difficultés ?
Bien sûr que les difficultés n’ont pas manqué. Je les organise en deux catégories :
Le choc lié à la température et la langue : Je viens d’un pays où il fait +43 degrés à l’ombre en été et j’atterris dans un pays, où j’expérimente -43 degrés en hiver. Il faut s’habiller en conséquence et la majorité des activités se passe à l’intérieur. Également au Québec, on parle le vieux français. Cela ressemble au français du temps d’Astérix et Obélix pour vous donner une idée. En revanche au travail, à l’écrit comme à l’oral, le français est plus académique ,clair et concis.
Le choc lié au système : Venant d’un pays comme le Burkina Faso et c’est pareil pour les ressortissants d‘autres pays, le défi est la reconnaissance des diplômes. Il a fallu passer par la reconnaissance à l’ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) et une maîtrise génie électrique (M.Sc.A.).
- Combien de fois venez-vous au pays ?
En moyenne je reviens au Burkina Faso une fois tous les deux ans pour des vacances. Cependant, pour des raisons professionnelles, il n’ya pas de fréquence, je me déplace en Afrique chaque fois que c’est nécessaire.
Avez-vous des projets au Burkina Faso ?
J’ai eu des contrats d’enseignement dans une grande institution internationale de la place par le passé. En consultation technique, je n’ai pas de projets en ce moment. Décrocher une consultation au Burkina Faso est un défi, avec le contexte actuel que traverse notre pays. Cependant j’ai bon espoir pour l’avenir.
- Comment restez-vous en contact avec le pays ?
Je reste en contact avec mon pays par la famille, les amis.es, surtout les amis.es entrepreneurs.es avec lesquels j’échange régulièrement sur des opportunités, et aussi partager mutuellement nos expériences comme entrepreneurs.es.
- Le retour définitif au pays, est-ce pour maintenant ?
J’y pense, mais cela se prépare. En effet il faut revenir pour apporter un plus, faire partir de la solution et pour cela il faut prendre le temps de bien faire les choses.
- Le pays est sous emprise terroriste, comment vivez-vous cette situation depuis le Canada ?
C’est avec le cœur meurtri qu’on vit cette situation à distance. Nous n’allons pas refaire l’histoire, mais je profite de votre micro pour rendre hommage à des personnes comme Pr Laurent Bado, Norbert Zongo et bien d’autres qui aiment leurs pays et qui avaient tiré la sonnette d’alarme. Aujourd’hui les conséquences nous affectent tous, mais je suis confiant vu la volonté de ceux qui sont aux affaires que nous allons nous relever, et que nous allons surtout apprendre de nos erreurs.
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- Participez-vous aux initiatives comme les contributions pour le retour de la paix au pays ?
Oui chaque fois que j’ai l’occasion de participer, aux initiatives des burkinabés vivants eu Canada
- Quelles sont vos relations avec les autres burkinabè au Canada ?
Il faut préciser que le Saguenay–Lac-Saint-Jean est une région à faible densité ethnoculturelle (1,1%) si nous la comparons à Montréal regroupant 72 % de personnes venues d’ailleurs, selon le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (2020). Tous cela pour dire que nous ne nous rencontrons pas régulièrement, mais ce sont des relations d’amicalité et de fraternité qui prévalent chaque fois que nous avons l’occasion de se rencontrer entre Burkinabé.
- Quels sont vos souhaits pour le pays ?
Mon souhait c’est de voir le Burkina Faso sortir de cette situation et prospérer. Pour cela il faut de mon point de vue que nous, jeunes burkinabé acceptons de réapprendre, de nous recycler si nous voulons accompagner la vision des autorités actuelles. Si nous ne sommes pas disposés à réapprendre, nous ne pourrons pas accompagner cette révolution, car elle va vite.
Lancer des slogans, c’est bien, mais savoir fabriquer un écrou de vélo c’est encore mieux. Je sais que ce n’est pas facile, mais une révolution vient avec des sacrifices. Nos ainés , papas et mamans qui ont connu la révolution d’août 1983 en savent quelque chose.
Interview réalisée en ligne par Bassératou KINDO/MoussoNews