Ingénieure consultante en Business Intelligence & Analytics et enseignante vacataire à l’Institut 2iE, Wend N’Contet Latiifah Rosemond Soulga fait partie de ces figures discrètes mais puissantes qui façonnent l’avenir par la donnée et le savoir. De Ouagadougou à Paris, en passant par les grandes écoles d’ingénierie, elle trace un parcours brillant, porté par une passion pour les sciences, un goût de l’excellence et un engagement fort pour le continent africain.

Présentez-vous à nos lecteurs.
Je suis Wend N’Contet Latiifah Rosemond Soulga, ingénieure consultante en Business Intelligence & Analytics et enseignante vacataire à l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’assainissement (2iE).
Forte d’un parcours scientifique exigeant, de la prépa PCSI à une licence de mathématiques, puis d’une double diplomation en génie numérique et d’un diplôme d’ingénieure en BI & Analytics, j’accompagne de grands groupes dans leurs projets data et technologiques.
Entre deux missions stratégiques, je transmets ma passion pour les données aux futurs ingénieurs en IA de 2iE, convaincue que la puissance des données transforme non seulement les entreprises, mais aussi les sociétés.
Femme africaine dans un univers encore trop masculin, je transforme chaque obstacle en levier d’impact, bâtissant des ponts entre rigueur scientifique, innovation et engagement.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a conduite vers l’ingénierie informatique, en particulier la Business Intelligence ?
Mon parcours est le fruit d’une passion pour les sciences et d’une volonté de briser les barrières. Après mon bac en 2016, j’ai suivi une prépa scientifique (Physique Chimie Sciences de l’Ingénieur) à l’Institut international 2iE, puis j’ai poursuivi une licence en mathématiques en France. Très vite, je me suis orientée vers l’ingénierie informatique, intégrant EFREI Paris, une grande école d’ingénieurs. J’y ai obtenu une double diplomation : une Licence en informatique et un Bachelor en génie numérique. Deux ans plus tard, je devenais ingénieure diplômée en Business Intelligence & Analytics. Ce choix de spécialisation s’est imposé naturellement : la BI permet de transformer la donnée brute en décisions stratégiques. Elle allie rigueur, analyse et impact concret — un terrain de jeu idéal pour une scientifique curieuse et engagée comme moi.
Pourquoi avoir choisi de vous installer et d’exercer en France ? Le choix était-il professionnel, académique ou personnel ?
C’était avant tout un choix académique. La France offre des structures de formation solides, avec un accès à des écoles d’ingénieurs reconnues mondialement. Aussi, c’était la suite logique après ma formation à l’Institut international 2Ie. Mais rapidement, le choix est devenu aussi professionnel. Intégrer de grands géants de la tech dès mes études m’a ouvert des perspectives concrètes. Je suis restée pour les défis techniques, la diversité des projets et l’environnement multiculturel stimulant.
À quoi ressemble le quotidien d’une ingénieure BI & Analytics comme vous ?
Mon quotidien est aussi challengeant que passionnant. Il mêle technicité, stratégie et impact. Je passe mes journées à extraire, transformer et analyser des données complexes, mais surtout à en révéler tout le potentiel pour aider les entreprises à faire les bons choix, au bon moment. Chaque jour est différent : je peux commencer par une réunion stratégique avec des décideurs, enchaîner sur le développement d’un pipeline de données, puis présenter des insights clés qui orienteront les prochaines actions d’une organisation. Et ce n’est pas un exercice théorique : nous participons concrètement à la transformation des entreprises, des services, des expériences clients, parfois même de la société. Aujourd’hui, je travaille sur des projets en Intelligence Artificielle, notamment en collaboration avec IBM. Ces projets touchent des enjeux réels, parfois à grande échelle. Et c’est là que réside toute la richesse du métier : utiliser la puissance des données pour construire des solutions qui changent le quotidien. Ce métier me pousse à me réinventer sans cesse, à apprendre, à collaborer, à innover. C’est exigeant, mais c’est surtout une opportunité extraordinaire d’avoir un impact, chaque jour, grâce à la technologie.

Pour nos lecteurs qui ne connaissent pas bien ce domaine : en quoi consiste exactement la Business Intelligence et quel est son impact dans le monde des entreprises ?
La Business Intelligence, c’est l’art de faire parler les données pour orienter les décisions. Elle permet à une entreprise de mieux comprendre ses clients, ses performances, ses coûts, et même d’anticiper les tendances. Dans un monde saturé d’informations, la BI agit comme une boussole : elle structure les données, les rend lisibles, et surtout utiles. Aujourd’hui, aucune grande décision ne se prend sans données et c’est là que nous, ingénieurs BI, intervenons.
Quelles sont les compétences clés requises pour exceller dans l’analyse des données aujourd’hui ?
Il faut avant tout une rigueur analytique, une maîtrise technique (SQL, Python, outils de visualisation, cloud, etc.), et une compréhension fine des enjeux métiers. Mais au-delà des compétences, je dirais que la curiosité, l’adaptabilité et la capacité à vulgariser les résultats font toute la différence. Savoir lire les données, c’est bien. Savoir les faire parler et les transformer en valeur, c’est mieux.
Travaillez-vous sur des projets ou secteurs spécifiques (santé, finance, commerce, etc.) ? Si oui, lesquels vous passionnent le plus ?
J’ai eu la chance de travailler sur des projets dans plusieurs secteurs : télécommunications, services, robotique, et plus récemment, sur des projets en IA appliqués pour le bon développement des entreprises et à leur optimisation opérationnelle. Ce qui me passionne le plus, c’est de voir la donnée transformer la réalité : quand une recommandation que j’ai conçue permet d’économiser, d’améliorer une expérience utilisateur, ou d’innover, c’est une grande satisfaction.
Le secteur IT reste encore majoritairement masculin : comment trouvez-vous votre place en tant que femme africaine dans cet environnement ?
Je prends ma place avec détermination et fierté. Être une femme africaine dans l’IT, c’est souvent être « la seule dans la salle », mais c’est aussi une opportunité immense : celle de représenter, d’ouvrir des voies et de faire bouger les lignes. Dès mes premières années d’études, cette différence s’est fait sentir. En prépa déjà, puis en France, mes résultats académiques suscitaient parfois étonnement ou même malaise, surtout dans des environnements majoritairement masculins. Je voyais bien les regards intrigués, parfois intimidés. Mais, j’ai grandi avec une force que peu voient au premier regard : celle que m’ont transmise mes parents. Ils m’ont toujours élevée loin des stéréotypes, sans jamais m’imposer de rôle prédéfini. Ils ont cru en mon potentiel avant même que je le réalise moi-même. Pour eux, je n’avais pas de plafond, seulement des horizons à explorer. Grâce à eux, j’ai étudié dans les meilleures conditions, avec la conviction profonde que je pouvais exceller, que je devais apporter quelque chose au monde par ma voix, mon travail, mes idées, mes recherches. Alors non, je ne me fais pas petite. Au contraire, je porte haut ce que je suis : une femme, une africaine, une ingénieure. Et je le fais avec exigence et excellence parce que mes compétences, ma rigueur et mon leadership n’ont ni genre, ni origine. Et parce que je sais d’où je viens, je sais où je vais.
Avez-vous rencontré des obstacles liés au genre ou à votre origine dans votre parcours professionnel ? Comment les avez-vous surmontés ?
Oui, parfois de manière subtile : regards condescendants, sous-estimation implicite… mais j’ai appris à transformer chaque doute posé sur moi en moteur. Je me souviens d’un projet où j’étais la seule femme dans une équipe de dix ingénieurs. Au début, mes propositions étaient à peine entendues. Mais dès que j’ai piloté une solution qui a permis de réduire les coûts de traitement de données de plus de 30 %, les regards ont changé. Ce n’est pas facile, mais c’est puissant. Il faut souvent prouver deux fois plus pour obtenir la même reconnaissance, mais cela forge une force intérieure rare. Je ne cherche pas à prouver quoi que ce soit, j’effectue simplement mon travail avec excellence. Les résultats parlent d’eux-mêmes. Et avec le temps, ce sont ceux-là que l’on respecte.
Gardez-vous un lien actif avec le Burkina Faso ? Que représente votre pays pour vous aujourd’hui ?
Absolument. Le Burkina reste mon point d’ancrage, ma fierté et une source inépuisable d’inspiration. À travers ma passion pour la cuisine burkinabè, que je valorise activement sur les réseaux sociaux, je célèbre chaque jour mon identité culturelle. C’est une manière pour moi de faire vivre mes racines tout en les reliant à mon quotidien en France. Mais ce lien est aussi professionnel. En parallèle de mes activités ici en France, je suis également professeure vacataire à l’Institut 2iE, l’institut où j’ai moi-même été formée. J’y enseigne aux étudiants de fin de cycle de la filière Intelligence Artificielle, notamment les cours « Fondamentaux du Cloud Computing » et « Principes de DevOps ». C’est un véritable honneur de pouvoir revenir dans cet environnement, non plus en tant qu’élève, mais en tant que formatrice, et de contribuer à l’émergence de nouveaux talents africains dans le domaine du numérique.
Si l’occasion se présentait, seriez-vous prête à mettre votre expertise au service du Burkina ?
Sous quelle forme (formation, projet, mentorat, entrepreneuriat…) ? Je ne me contente pas d’y être prête : je le fais déjà. En plus de mon rôle de formatrice, je travaille également sur des projets numériques visant à contribuer au développement du secteur technologique au Burkina Faso. L’objectif est de créer un pont entre les standards internationaux et les besoins locaux. Je crois profondément en la montée en puissance des talents burkinabè, et je suis convaincue que l’expertise acquise à l’étranger prend tout son sens quand elle est partagée et réinvestie chez soi. Cela passe par la formation, le mentorat, mais aussi la création de solutions technologiques locales à fort impact.

Quelles évolutions voyez-vous dans le domaine de l’intelligence des données d’ici 5 à 10 ans ?
L’analyse des données va devenir encore plus intelligente, automatisée et prédictive. Avec l’essor de l’IA, on passe d’une logique descriptive à une logique prescriptive : les systèmes ne se contentent plus de dire ce qui s’est passé, ils suggèrent ce qu’il faut faire. Le futur est aux data-driven decisions, à grande échelle, dans tous les secteurs, et l’Afrique a toute sa place à prendre dans cette révolution. Et dans 10 ans, j’aimerais voir plus de solutions africaines, pensées en Afrique, pour l’Afrique, mais avec l’ambition d’inspirer le monde entier.
Quel conseil donneriez-vous à une jeune burkinabè qui rêve de faire carrière dans la tech ou l’analyse des données ?
Crois en toi, même quand personne ne te tend la main. Sois curieuse, forme-toi sans relâche, entoure-toi de personnes qui te tirent vers le haut, et surtout : ose sortir des sentiers battus. La tech a besoin de profils comme toi. Ne laisse jamais ta différence être un frein : fais-en une force. J’aimerais que chaque jeune fille burkinabè sache que sa place est là où elle choisit de la prendre, que ce soit dans un laboratoire, devant une ligne de code, ou à la tête d’un projet digital. Parce que comme on dit souvent : « Quand une femme réussit, c’est une porte qui s’ouvre pour mille autres » Alors ouvre cette porte. Et tiens-la grande ouverte pour celles qui suivront.
Interview réalisé en ligne par Annick HIEN/MoussoNews