Le paludisme tue. Encore. Trop. Et surtout, il tue des enfants. Pourtant, pour la première fois dans l’histoire, les outils pour inverser la tendance existent. Ce sont des moustiquaires de nouvelle génération, des vaccins inédits, des médicaments innovants… et une technologie qui pourrait un jour changer la donne: les moustiques génétiquement modifiés à impulsion génétique.
Mais ces outils resteront sans effet sans volonté politique et sans engagement financier. C’est tout le sens de la campagne « Changer l’histoire« , lancée par Malaria No More UK en partenariat avec l’Alliance des leaders africains contre le paludisme (ALMA) et Speak Up Africa. Une campagne poignante, dans laquelle les femmes et les enfants jouent les premiers rôles — et dans laquelle une scientifique Burkinabè est mise en avant : Dr Léa Paré Toé de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé à Bobo-Dioulasso
Une campagne pour les enfants et les femmes, premières victimes du paludisme
« J’avais tellement mal à la tête. Mon corps était si faible que je ne pouvais même pas marcher pour aller aux toilettes. » Derrière ces mots de Zoé, 13 ans, se cache l’expérience quotidienne de millions d’enfants africains.
Plus déchirant encore, ce témoignage d’un membre des Ghetto Kids, un groupe de danse ougandais qui crée des vidéos virales : « C’est la première fois que j’ai compris que le paludisme était mortel… Mon meilleur ami… Ils m’ont dit que quoi que je fasse, il ne se réveillerait plus. Il est mort maintenant. Il est au ciel… C’est lui qui m’a appris à danser. C’était un garçon vraiment gentil. »
En 2023, l’Afrique a recensé 246 millions de cas de paludisme, soit94 % des cas mondiaux, et 569 000 décès, représentant 95 % des morts à l’échelle planétaire. Au Burkina Faso, ce sont plus de 8 millions de cas et plus de 16 000 décès qui ont été enregistrés. Et parmi ces pertes humaines, environ 8 victimes sur 10 sont des enfants de moins de cinq ans.
« Changer l’histoire« recentre ce combat sur ses premières victimes – ces enfants dont les rêves sont volés, ces familles détruites – pour mieux interpeller les consciences et les portefeuilles.

Une capture d’écran du film de la campagne.
Angélique Kidjo, artiste béninoise aux multiples Grammy Awards et nouvelle ambassadrice de la campagne après l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie, transforme ces témoignages en appel à la mobilisation mondiale. Car l’enjeu est là : sans reconstitution ambitieuse du Fonds mondial, 337 000 personnes supplémentaires – dont 80% d’enfants – pourraient succomber d’ici 2029.
Dr Léa Paré Toé : une voix burkinabè qui porte
Parmi les visages de cette campagne figure celui de Dr Léa Paré Toé, socio-anthropologue et chercheuse à l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) de Bobo-Dioulasso. Maître de recherche, elle est aussi responsable de l’engagement des parties prenantes pour Target Malaria au Burkina Faso — un projet de recherche pionnier qui explore notamment l’usage de la technologie du gene drive, ou impulsion génétique, qui modifie les moustiques pour réduire considérablement la population des moustiques vecteurs du paludisme.
« Nous avons le savoir scientifique pour lutter contre ces moustiques », affirme-t-elle dans le film de la campagne. Et elle ajoute, comme un défi lancé à la maladie: « Le paludisme n’est pas plus fort que les scientifiques que nous avons en Afrique.. »
Mais pour elle, la lutte ne se gagne pas uniquement dans les laboratoires. Elle se gagne aussi sur le terrain, auprès des communautés. Son engagement dans l’engagement des parties prenantes dans les villages de Bana et Souroukoudinga, au Burkina Faso, ses recherches sur la perception sociale du paludisme et son travail pour rendre la science accessible en langues locales en font une figure incontournable du lien entre science et société. Chevalier des Palmes académiques et lauréate du prix « Women in Vector Control », elle incarne cette nouvelle génération de scientifiques africaines qui réconcilient technologie et traditions, rigueur académique et écoute communautaire.
Pourquoi « changer l’histoire » maintenant ?
Parce que nous sommes à un tournant critique. Résistance aux outils actuels, dérèglement climatique, crises humanitaires, sous-financement chronique : tout concourt à un recul possible, alors même que la mortalité liée au paludisme avait été réduite de moitié ces vingt dernières années.
Et pourtant, l’espoir est permis. Des scientifiques comme Dr Paré Toé montrent que les réponses existent : innovations technologiques, stratégies communautaires, implication des jeunes. Mais pour que ces réponses deviennent des solutions concrètes, un soutien international massif est indispensable.

Lancement de la campagne lors d’un événement réunissant plusieurs ministres africains. Crédit: African Leaders Malaria Alliance
Une science africaine, pour une Afrique sans paludisme
Le film de la campagne »Changer l’histoire » a été présenté en avant-première en marge de l’Assemblée mondiale de la santé ce 19 mai 2025, en présence de plusieurs ministres de la santé africains. Son message est un appel sans détour aux dirigeants mondiaux, aux bailleurs internationaux et au secteur privé.
Un court-métrage intitulé « Elle ouvre la voie » a été présenté à l’édition 2025 de l’Africa CEO Forum par Speak Up Africa, lors d’un événement visant à engager le secteur privé dans la lutte contre le paludisme.