Burkina : une matinée de frayeur en zone terrorisée

Bango, 17 kilomètres de Ouahigouya, Nord du Burkina. Le village, comme tant d’autres n’est plus sûr. Il est dans  l’œil du terrorisme. C’est pourtant là que nous devons nous rendre ce 2 août. La grande frayeur. Partir ou pas ? L’idée de savoir que des villageois nous y attendent et seront heureux de nous parler du bien-être que procure l’espace ami des enfants, finit par nous convaincre. Il faut y aller malgré tout.

Départ prévu à 8 h. Le point de ralliement, les locaux d’une Organisation non gouvernementale, situés dans un quartier de Ouahigouya, capitale de la région du Nord. Nous arrivons, habillée dans un pantalon bleu, un haut en pagne et chaussée de nu pied.

« J’ai appelé hier au village. Ils disent que tout va bien et qu’on peut venir », explique une animatrice au sein de l’ONG. Mais madame, dit-elle, en nous fixant : « Il faut que vous changiez d’habillement. Il faut porter une robe ou un pagne. En tout cas quelque chose de décent et couvrir surtout la tête. Vous voyez, moi-même je suis en robe, ce n’est pas dans mes habitudes, mais chaque fois que je dois aller au village, je change de look ».

Voilà qui nous met dans le bain. Sauf que nous n’avons aucune robe dans la valise. Seulement un pagne pour les besoins de la prière. Très vite, nous enfilons le pagne après nous être débarrassée du pantalon. Le foulard est bien noué. Le nouveau dressing est composé d’un pagne vert, un haut bleu, un foulard rouge, le gilet de l’ONG… un melting pot de couleurs dont on se serait bien passé.

Pas de voiture, il faut une moto

Aller à plus de 17 kilomètres de Ouahigouya.  Un petit déplacement devenu de plus en plus risqué. Que l’on soit en véhicule personnel ou estampillé ONG, le risque est presque le même. Alors pour aller à Bango, la moto n’est pas une option, c’est presqu’une obligation.

Nous démarrons à 8h15 de Ouahigouya. L’atmosphère est lourde. Nous tentons la discussion avec l’animatrice. « Il n’y a pas un kiosque à coté ? « Je vais au moins manger, remplir le ventre. Et si je dois mourir, je ne mourrai pas avec la faim », lui lançais-je. La question a le mérite de lui arracher un sourire. A quelques mètres nous marquons un arrêt,  à la vue d’un petit cafeteria.

 ¼ de pain avec du poisson et du café pour moi, et ½ pain avec des omelettes et du thé pour elle. Le pain ne passe pas. La hantise coupe tout appétit. Nous avalons seulement le café, à moitié. « Moi j’ai peur », murmurai-je. En ce moment, des idées et réflexions se bousculent dans ma tête.   La première personne à laquelle je pense, mon fils. « Qui va s’en occuper ? », demandais-je, avant de me dire qu’il est assez grand et qu’il se souviendra certainement de sa mère qui l’aimait.  « Madame, je comprends votre inquiétude. Ce sont les mêmes questions que je me pose chaque fois que je dois aller à Bango. Je pense à mon fils de 7 ans. Je l’ai déjà confié à une tante si jamais quelque chose m’arrivait », nous lance notre co-voyageuse, l’air anxieuse.

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Le melting pot de couleur. Il y a eu un peu de courage pour oser descendre de la moto et faire une image.

Elle est la seule à qui l’on confie cette mission dans cette zone rouge. Et pourquoi ? lui demandons-nous. Elle nous fait savoir qu’elle a  l’avantage de parler le mooré et le fulfuldé. Et lorsqu’elle croise les hommes armés non identifiés, elle arrive à s’exprimer, à dialoguer avec eux. Elle leur explique le pourquoi de sa présence dans le village et le bien fondé des projets humanitaires sur les bénéficiaires dont font partie certaines femmes et certains enfants des membres desdits groupes terroristes.

Supprimer les messages et vidéos de son téléphone

Nous prenons du carburant à l’avant dernière station d’essence – route du Mali- à la sortie de la ville. L’animatrice sort son téléphone de son sac. Elle supprime toutes les vidéos et tous les messages d’alertes. Lorsque les hommes armés non identifié procèdent à la fouille, ils regardent le contenu des téléphones. «  Ils ne veulent pas qu’on regarde leurs agissements », explique l’animatrice, avant qu’on continue la traversée.   Un silence de mort règne sur la moto. La dernière station près du péage est fermée. Le péage aussi. Les traces des balles se laissent voir sur les portes et fenêtres de l’école située près du péage. Jusqu’à 7 kilomètres de la ville de Ouahigouya, pas de voiture sur la route. Un seul camion ben roule à vive allure. Quelques engins à deux roues aussi. Sur les motos, ce sont toujours les hommes qui tiennent le guidon avec derrière eux des femmes. Elles sont toujours décemment habillées, le foulard bien noué.  Jamais deux femmes sur une monture comme nous.

La chaîne au pied, il faut vite l’enlever

A 9 kilomètres, je me rends compte que je porte toujours la chaîne au pied. « Il faut vite l’enlever Madame. C’est vrai qu’il ne peut rien avoir, mais on n’en sait jamais. Les gens là peuvent penser à tout », alerte l’animatrice. Pourtant on ne peut pas s’arrêter. Cela présenterait un risque. Comment se pencher et ramener la main droite vers le pied gauche pour enlever la chaîne ?

L’acrobatie qui donne un mal de dos. Il faut trouver la parade avec la main gauche. « Oh Seigneur, comment vais-je pouvoir l’enlever », me demandais-je. Pourtant la chaîne a vite été enlevée. La bague aussi. Elles sont rapidement rangées au fond du sac. L’animatrice pouffe de rire. L’atmosphère sur la moto se détend quelque peu.

Une visite inopinée à 7h30

Le trajet Bango – Ouahigouya dure environ 20 minutes. L’on arrive aux environs de 8h55. Un Monsieur nous attend au bord de la voie. « Il faut vite venir pour la visite. Il faut faire vite. Je vous ai rappelé en vain pour vous dire de ne plus venir. Mais le réseau ne passait pas », nous lance-t-il rapidement.  De là, il faut rouler encore environ 1 kilomètre pour accéder aux réalisations du projet. Tôt le matin, raconte un villageois, quelques individus armés ont sillonné la bourgade. Le regroupement  pour attendre l’animatrice et la journaliste a vite été dispersé.

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Le péage à la sortie de Ouahigouya, route du Mali n’est plus fonctionnel. Tous les occupants ont abandonné cet endroit autrefois animé.

Seuls quelques hommes et une femme sont  sur les lieux. Je demande si c’est possible de faire des photos. La réponse est affirmative. « Il faut vite le faire, seulement les réalisations, pas l’école qui est fermée », conseille un des leaders communautaire. Puis arrive un autre Monsieur l’air suspicieux. Il refuse de s’inscrire sur la liste. La psychose monte. « Mesdames faites vite et retourner chez vous. Ce monsieur est venu vérifier si vous êtes réellement là pour le projet. C’est un élément de leur renseignement », nous souffle un responsable de la communauté. La main tremblante, difficile de faire une vidéo. Pour une visite qui devrait durer 30mn, elle s’est résumée en 10 mn.

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Une dizaine de kilomètres sépare Bango au camp militaire de Ouahigouya.

Dans ce village, seul le centre de santé est fonctionnel. Quelques femmes y sont assises pour sans doute des soins. L’école reste fermée avec ces traces du passage des hommes armés non identifiés,  à travers des fenêtres et des portes défaites.

Pas de réseaux de téléphonie, ni de connexion internet

Pour plus de prudence, un résident du village nous accompagne. Malgré tout, la peur est montée d’un cran. Impossible de faire un mètre sans jeter un regard derrière. Le trajet du retour se passe sans encombre. A 10kilomètes  de Ouahigouya,   on croise 3 jeunes remorqués sur une moto, un tenant une arme. Ils ont l’air très pressés. Le groupe ne nous regarde même pas. « Ils sont parfois tolérants avec les femmes. Quand ce sont deux femmes ou un homme et une femme qui se remorquent, ça va », explique l’animatrice.

De retour, à 5 kilomètres de Ouahigouya, la peur commence à s’estomper. Une lueur d’espoir se lit sur nos visages. Nous sommes revenues bien vivantes. Dans ce village à 17 kilomètres de Ouahigouya, il n’y a pas de réseaux ni de téléphonie, ni de connexion internet.

Bassératou KINDO

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Un commentaire

  1. Voilà il faut que beaucoup de ouagalais fassent ce genre de voyage pour mieux apprécier la situation. C’est exactement de cette manière nous rendons visite à nos parents.

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